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Персонажи из Les Songes drolatiques de Pantagruel

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Les Songes drolatiques de Pantagruel (фр. Дролатические мечты Пантагрюэля) — серия из 120 миниатюр, опубликованная в 1565 г. Рихардом Бретоном совместно с Франсуа Рабле. Автором фантасмагоричных иллюстраций был Франсуа Депре, хотя в самом издании его имя не упоминается. На изображениях представлены чудовищные и гротескные гибридные существа, которые напоминают существ с полотен Босха или Брейгеля. Помимо разнообразных телесных и физиологических причуд, на миниатюрах показаны и социальные девиации — старики с оружием и священники, идущие на войну. Люди на изображениях скрещены с животными, антропоморфными телами, заимствуя части тел рыб, обезьян или птиц. Изначально в этих фигурах не было какой-то цели, а поэт Этьен Табуро упражнялся в своей словесности, пытаясь придумать имя для каждой придуманной фигуры. Позднейшие исследователи при анализе каждой фигуры находили скрытые смыслы, заложенные в них, в частности сатиру на политических и религиозных деятелей XVI века.

В XX веке Сальвадор Дали творчески переосмыслил эти фигуры и выпустил собственную серию литографий по мотивам "Les Songes drolatiques de Pantagruel".

Список персонажей[править]

Изображение
Условное название
Описание
Les Songes drolatiques de Pantagruel 1.jpg
JULES II
  • №: 1

Ce moine singulier, bardé de fer, accolé à une forteresse en forme de prie-Dieu, à laquelle une ceinture le joint étroitement, est sans doute le pape Jules II, à la fois pontife et chef militaire. Divers pavillons ornent la forteresse; une épée à rondache et à croc passe par une meurtrière et a l'air d'un signal ; un drapeau est arboré dans Toreillère du casque du personnage, qui montre par son ou- verture une sorte de bec ou de masque de fer. Son vêtement d'acier affecte la forme d'une clo- che, attribut naturel de l'île sonnante ou Église romaine. Il semble être à genoux et marcher avec le fort, qui est supporté par des roulettes, comme une machine de guerre. Jules II entra, à soixante-dix ans, dans la forte- resse de la Mirandole, qu'il assiégea et prit d'assaut. C'est le (( grand dompteur des Cimbres » des Fan- freluches antidotées.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 2.jpg
l'oiseau gourmandeur de l'île sonnante
  • №: 2

Armé de toutes pièces, omnipotent et ventru, un chevalier, visière baissée, s'avance en faisant sonner ses longs éperons. Sa cuirasse sphérique protège sur- tout son ventre, sur lequel s*appuie l'extrémité d'un sceptre singulier. Un peu d'attention fait recon- naître dans cet objet une lardoire, d'où s'échappe un lardon découpé en scie. Ce bravache brandit de la main droite un glaive flamboyant, comme pour dé- endre sa provende,. Sur son casque, en forme de gourde et de plat à barbe, flotte une plume d'oiseau de Paradis. C'est tt l'oiseau gourmandeur de l'Ile sonnante, b commandeur de l'ordre de Malte, chevalier de l'E- glise romaine. Il joint à la goinfrerie monacale, l'avarice et Tégoïsme du célibataire ; nous le retrou- verons deux pages plus loin. — « C'est, dit Rabe- « lais, le plus industrieux faiseur de lardouares et « brochettes qui soit en quarante royaulmes. »

Les Songes drolatiques de Pantagruel 3.jpg
JULES II
  • №: 3

Nouns revoyons le pape Jules II dans ce traîneur de sabre, porteur d'arquebuse, coîfTé d'un potiron à longue visière, agrémenté d'un plumet épanouL Son exaltation naturelle et sa galanterie peu mesurée se trouvent indiquées par des avantages naturels, sur lesquels nous n'insisterons pas. Nous ne parlons pas seulement de son nez. Un manteau, qui vole au gré du vent, embellit cette petite tenue de campagne. Point d'armure ; de larges pantalons à la houzarde, des bottines à courroies, une veste à brandebourgs et des ganta fourrés corpplètent son costume. Il a Tair de placer une mèche sur le témoignage monstrueux de sa virilité. L'arquebuse est surmontée d'une sorte de baïonnette. « Je les ai vus, dit Panurge, non en aumusse, « mais armet en teste porter, et tout l'empire chris- « tian étant en paix, eux seuls guerre faire félonne « et très-cruelle. »

Les Songes drolatiques de Pantagruel 4.jpg
L'orSKAU G0URM4NDEUR DE l'iLE SONNANTE
  • №: 4

Voici un personnage mystérieux dont il est difficile de définir l'individualité. Il est couvert de la tête à la ceinture d'une armure qui semble faite d'untf seule pièce, et qui laisse voir des cuisses et des jambes as- sez menues, armées de genouillères. Les bras, ^qu ne sont libres qu'à leur extrémité, à cause de cette cuirasse en forme d'éteignoir, tiennent en arrêt une longue épée serrée par deux petites main$ couvertes de gantelets. Ce qui donne un certamTelief à cette fi- gure, c'est une sorte de targe ou de bonnet phrygien attaché à un petit manteau roide et étroit, orné d'un gland, et joint à une courroie qui se boucle au devant de la taille. Faut-il voir dans cette bouche de fer cousue une allusion aux oiseaux de proie ; dans l'arme une repré- sentation de l'épée de Malte , et dans l'ensemble du personnage un des oiseaux gourmandeurs de l'île Son- nante? Rabelais les dit muets, métis et gourmands.... «Ces chevaliers ne chantent jamais, dit Editue, mais ils repaissent au double. » (Voyez la figure II.)

Les Songes drolatiques de Pantagruel 5.jpg
JEAN [des ENTOMMEURES
  • №: 5

Ceci est la première figuration de Texcellent frère Jean, ce « père spirituel » de Panurge. Son cos- tume de moine moinant l'établit suffisamment , ainsi que le cimeterre qui traverse sa robe et prouve son tempérament belliqueux. II tient sans doute à la main ce fameux bâton de la croix avec lequel il défendit les' vignes de Pabbaye de Sévillé^ « et estrippa treize mille six cent vingt et deux paillards, d Son nez bourgeonnant et poilu, hardiment retroussé^ épanoui en forme de trogne , montre quel ivrogne émérite était ce grand homme d'église, à l'œil émerillonné. Sa coiffure nous embarrasserait peut-être, si nous n'a- vions à citer Topinion des commentateurs, qui y voient une jambe et une cuisse de demoiselle — tou^ jours fraîches j selon frère Jean. Toutefois cela ne s'accorde pas avec l'éperon dont le soulier à la pou- laine est orné. Le trait principal de cette figure fait allusion au passage qui afiirme que les moines ont le nez plus long que le commun des mortels.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 6.jpg
JEAN DES KNTOMMEURES
  • №: 6

Cet étrange individu, d'apparence à la fois guer- rière et monacale, semble être de la famille de Ber- the aux longs pieds. Des éperons retentissants sont attachés à ses' sandales. Une cuirasse de vieux fer ou de cuir épais s'attache par trois liens à une sorte de manteau à capuchon, et forme un hausse-col sous son manteau. De cette carapace, qui enveloppe un buste et un ventre copieux, sort une robe à longs plis. C'est évidemment un abbé militaire, le prieur de Thélème, frèije Jean des Entommeures, déjà nommé. Le long bâton qu'il porte paraît être une édition augmentée du bâton de la croix a de cœur de cormier, long comme une lance, rond à plein poing, » que nous avons cité à la page précédente ; il est ornementé de dents latérales, d'une pointe de gaffe et d'un gland de tapisserie. Un effet de gravure, pratiqué peut-être à dessein, semble montrer un œil à travers le capuchon. Il tient du reste à la main ce joyeux petit bréviaire avec lequel il parvint à assoupir Gargantua « qui ne pou- voit dormir en façon quelconque qu'il semist»... — «Il ne voulait, dit l'auteur, aultres armures que son froc en son estomach et le baston de la croix en son poing. »

Les Songes drolatiques de Pantagruel 7.jpg
JULES II
  • №: 7

Nous reitrouvohs le pape Jules II dans sa cloche, comme à la gravure I. Sa tiare, formée d'une ruche d'abeilles bourdonnantes, symbolise les idées actives et remuantes de ce pontife, et la concen- tration faite à son profit du miel et des revenus ecclésiastiques. Une fraise ou collerette dentelée, qui surmonte une espèce de chappe couverte d'orne- ments, se relève à la hauteur de son bonnet et se termine par un éperon. Cette chappe du chef de Tîle Sonnante est d'ailleurs agrémentée d'un gland et d'une garniture de boutons, ainsi que d'un petit écusson suspendu, qui semble porter trois besants d'or, deux et un. Au dessous de cette décoration un cordon passé en sautoir soutient' un petit couteau dont la lame est en dents de scie, qui rappelle le vœu de continence imposé aux sujets du Papegaut. Les gros pieds courts du bonhomme sont chaussés de la mule papale, et sa figure lippue, passablement hébétée, semble tirer la langue. On peut voir, dans cette expression de dépit et dans les abeilles, une allusion à la soumission des Génois à Louis XII, qui fprit une ruche pour bannière, quand il entra dans 6ênes, en i5o6.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 8.jpg
CAREME-PRENANT
  • №: 8

II est assurément plus convenable et plus poli pour un commentateur de prendre cette figure sau- grenue pour Carême-Prenant, qui a bon dos, que pour un chef ecclésiastique. Toutefois la sainteté et Tom- nipotence de ses fonctions semblent clairement indi- quées par les gestes de ses mains, dont l'une distri- bue des bénédictions, pendant que Tautre tient des vergts pour châtier l'hérésie. Les ganls et le chapeau du personnage, sa robe et ses petits pieds couverts de chaussons, rappellent les vêtements ordinaires des cardinaux. Son caractère principal est indiqué par une énorme tête d*âne ou d'éléphant, à oreilles et à barbe humaines, qui peut au besoin être regardée comme un masque. La trompe qui termine ce mon- strueux visage s'incline vers la terre oti son extré- mité court sur une roulette. Ajoutons que les pieds vont à gauche et le nez à droite. Le type multiple « et complexe de Carême- Prenant peut à la rigueur concilier ces bizarreries.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 9.jpg
JEAN DES ENTOMMEURES
  • №: 9

Voici très -probablement encore le digne frère Jean des Entommeures^ quoique B^abelais semble lui ménager un peu Tembonpoint. Son allure déci- dée et gaillarde, le chapeau de cardinal qu'il porte au côté, suspendu au cordon d'ordonnance qui lui passe sur Tépaule, sa robe de moine et son petit manteau affirment son individualité. La tête, un peu vague, semble être enveloppée dans unecagouk très-serréé qui en dessine les traits. Frère Jean est d'ailleurs en attitude de chasse, le faucon au poing, le poignard à la main. Ses pieds, terminés en serres d'oiseau de proie, indiquent les appétits destruc- teurs d'un chasseur déterminé, — Le cardinal Jean du Bellay, ami et protecteur de Rabelais, qui a fourni quelques traits du révérend frère Jean, était grand chasseur en effet.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 10.jpg
LE ROTISSEUR TURC
  • №: 10

Cet infortuné cuisinier, que la fatalité soumet à la ' loi du talion, est celui qui tenait Panurge embroché au pays de Turquerie. Le Bâcha, son maître, dont il a encouru la colère, Ta percé d'une broche à poi- gnée d'épée dont il essaie vainement de se débarras- ser. La souffrance lui fait pousser de tels cris qu'il en ouvre la bouche d'une aune, en rejetant son cha- peau qui l'offusque et qui laisse voir un bonnet de ménage. Le pantalon et le poignard du personnage sont plus turcs que le reste ; quant à l'apanage de nature qu'il exibe glorieusement, le passage suivant en explique la situation anormale : « Le bon feut que le feu que j'avoys jeté au giron « de mon paillard rostisseur lui brusla tout le pe- « nil et se prenoyt aux couillons... Mais le maistre tt de la nfaison, oyant le cri du feu et sentant la fu- a mée de la rue, où il se pourmenoyt avecques quel- « ques autres baschas et massafis, courut tant qu'il a pust y donner secours... De pleine arrivée, il tire « la broche où j'étoys embrosché et tua tout royde < m<tn roustisseur, dont il mourut là, car il lui « passa la broche peu au-dessus du nombril, vers le « flanc droit. »

Les Songes drolatiques de Pantagruel 11.jpg
LA CHEVESCHE
  • №: 11

Cette étrange femelle, au masque de chouette, à la robe impudemment retroussée, est Toiseau de proie rencontré par Pantagruel et ses compagnons dans la caverne des Papegauts, — la courtisane vivant des biens ecclésiastiques, à la contenance à la fois discrète, astucieuse et effrontée. Son bonnet à deux pointes a quelque ressemblance avec celui de la Fo- lie ; son jupon plissé et ornementé affecte une allure de crinoline ; deux glands, assez bizarrement placés, l'enjolivent. Le buste de la dame est enveloppé dans un large mantelet. On retrouve ce type, sous d'autres formes, aux gravures XXI et XXVIII. « Panurge restoit en contemplation véhémente de c Papegaut et de sa compagnie, quand il apperceut a au dessoubs de sa cage une chevesche ; adoncques • s'escria, disant : Par la vertus de Dieu, nous « sommes ici bien pippés à pleines pippes, et mal « équippés... Regardez là ceste chevesche; nous (( sommes assassinés! — Parlez bas, de par Dieu, ff dit Editue ; ce n'est mie une chevesche ; il est « masle; c'est un noble chevechier. »

Les Songes drolatiques de Pantagruel 12.jpg
LE GRAND BE^IUS
  • №: 12

Le maigre personnage à masque hypocrite, qui se cache sous cette cagoule et ces vêtements ecclésiasti- ques, représenterait le Carême, s'il n'avait pas une si- gnification plus précise. Il faut y voir le grand Benius (Sanctus Benedictus), roi de Tîsledes Esclots, sabots ou sandales, prototype des abbés chefs de monastère. c Ils ne vivent que de souppes de merlus » dit Ra- belais; — les poissons qui sont dans ses mains mon- trent en effet quel est l'approvisionnement de sa cuisine. Ses souliers à la poulaine désignent par leur prolongement excessif la dignité du personnage, et les longs ciseaux qu'il porte devant lui sont Tem- blème du vœu de chasteté des religieux qu'il gou- verne. Ainsi du petit couteau de Jules II à la gra- vure VII.. Ces ciseaux tiennent la place du rasoir que Rabelais prétend être commun à tous les moines, « lequel ils esmouloyent deux fois par jour et affi- loyent trois fois la nuict. » Quant aux manchettes à festons et à glands qui parent un peu mondaine- ment l'austère personnage, on peut y voir l'indica- tion de goûts antiphysiques.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 13.jpg
JULES DE LA ROVÈRE, PLUS TARD JULES II
  • №: 13

Ayant son élévation au Pontificat, le cardinal de la Rovère, du titre de Saint-Pierre-ès-liens, marcha contre les Cimbreset lesrévoltésde Tlmbrie, d'après des ordres de son oncle, le pape Sixte IV. C'est lui que nous voyons, le glaive à la main, la main dans la poche, vêtu d'une douillette ecclésiastique, ornée de franges, marcher d'un pas délibéré contre les enne- mis. Son étrange coiffure emplumée a quelque chose de la mître et du casque ; il porte une façon de cha- pelet à la ceinture et des souliers à collerette. Sa fi- gure criarde, impérieuse, semble entraîner à sa suite les troupes qu'il commande ; les avantages particu- liers qu'il exhibe ne peuvent indiquer que sa jeu- nesse et sa fermeté de caractère. La victoire qu'il remporta est chantée dans la pre- mière strophe des Fanfreluches antidôtées : Voici venir le grand vainqueur des Cimbres..

Les Songes drolatiques de Pantagruel 14.jpg
JULES II
  • №: 14

Cette figure est assurément la même que œlle qui commence la série des Songes drolatiques. Nous retrouvons la cloche, Tarmure et la forteresse dans ce singulier vêtement , surmonté d'un casque en forme de couvercle et de deux étendards, insignes de la double puissance ecclésiastique et militaire. La cloche paraît construite en pierres de taille; l'ouver- ture du casque, qui manque de visière;, ne permet pas d'apercevoir la figure qu'il couvre. Un cimeterre à large lame est attaché en bandou- lière à cette panoplie, sans qu'on puisse deviner par oïl passeront les bras qui voudront s'en servir. Tout au bas, on lit à rebours le mot OR A (Prie); puis, après un cercle, un caractère qui semble être le mono- gramme AN, signature d'Alcofribas Nasier (François Rabelais). Quant aux oiseaux armés et enfroqués, qui montent la garde autour de ce bastion humain « à pieds largement pattus , » ce sont évidemment les hallebardiers de l'île Sonnante

Les Songes drolatiques de Pantagruel 15.jpg
BACBUC
  • №: 15

Voici la prêtresse de la dive bouteille, la noble et solennelle Bacbuc, portant le globe au bout de son sceptre, et enveloppée d'une robe boutonnée du haut en bas, qui rappelle l'habit ecclésiastique. Elle est coiffée d'une sorte d'amict, serré au cou de façon à l'étrangler^ et qui se termine par une longue pointe orn,ée d'un gland qui descend plus bas que la cein- ture. Le petit couteau qu'elle porte en sautoir peut avoir la signification de celui qui orne le costume du paj)e Jules, à la gravure VII. Peut-être ne lui sert-il qu'à feire la veridange et à couper les c beaux gras et joyeux jambons, les belles, grasses et joyeuses lan- gues fumées » qu'elle offre à Pantagruel et à ses compagnons, a Allez, dit-elle, amys, en protection tt de cette sphère intellectuelle, de laquelle en tous « lieux est le centre, et n'ha en lieu aucun circonfê- « rence, — qife nous appelons Dieu. » Combien de gens attribuent à Pascal cette mer- veilleuse définition de l' univers !

Les Songes drolatiques de Pantagruel 16.jpg
CARÊME-PRENANT
  • №: 16

Ce personnage baroque et excessif est sans doute le roi fantaisiste de File de Tapinois , Caréme- Prenant, que nous avons déjà vu à la gravure II. Il paraît courbé sous le faix et ployé en deux; sa figure résignée est misérable et larmoyante. Une chappe grossière, bordée d'hermine ou de poils, une façon de sac couvre son train de derrière; il a Tair d'a- vancer, dans cette attitude aussi piteuse que gênée. Il porte en bandoulière Un long couteau à dents de scie, emblème de chasteté. Un oiseau fantastique, peut-être un oiseau de paradis, perché au-dessus de sa tête, suspend devant ses yeux une corde à nœuds, qui peut bien être une discipline. Des oiseaux- grouillent dans ses jambes, chaussées de fortes bottines,, et ont l'air de le'menacer et de le railler. Une énorme grue » cherche à l'attaquer par dessous. Ce sont sans doute c de gras chapons » raillant l'abstinence et les ma- cérations du carême. (LtV; /F, chap. xxx.) , « Le monde doncques, ensagissant, ne vouldra « plus pitoyablement croire au caresme.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 17.jpg
Carême-prenant
  • №: 17

Voici une figure complexe qui raille assez bizar- rement l'autorité ecclésiastique, et que sa nudité semble désigner pour Carême-Prenant, qui porte, selon Rabelais, arien devant et rien derrière, » si nous en exceptons des apanages naturels passable- ment étranges et que la pénitence a peu dé- vastés. Ce bonhomme, vêtu d'un large pourpoint lacé sur le devant, est coiffé d'un vaste chapeau dont les bords abritent ses épaules comme un manteau court. Le cimier de cette coiffure formé une aiguière dans laquelle trempe une sorte de goupillon. L'anse de ce vase simule une élégante arabesque qui supporte un long rosaire dont l'extrémité panachée touche presque la terre. Carême- Prenant porte des gants fourrés et tient, au bout d'un long bâton, une mule ornée de trois plumes et d'un talon recourbé, qui ne peut être que la mule du pape. Il la considère en gambadant et semble discourir à ce sujet. On s'explique assez dif- ficilement deux bourrelets qui parent ses jambes, car il a évidemment les pieds nus et leurs doigts en forme de griffes

Les Songes drolatiques de Pantagruel 18.jpg
l'oiseau gourxandeur de l'île sonnante
  • №: 18

Oiseau, si l'on veut^ par son allure, cette figure est assurément celle d'une carpe à moustaches, créature hybride et improbable, d'un aspect belliqueux. Elle a l'air de sortir d'un étang et d'aborder la terre, ferme Son pied levé s'appuie sur un éperon assez bizarre- ment vissé à la hampe d'un étendard flottant. Cest, dans tous les cas , un oiseau palmipède, car les doigts de ses pieds sont réunis jusqu'à leurs extré- mités par des membranes. Cet étrange fantoche tient d'une main un flacon, et de l'autre une très-courte épée ; ses maigres caisses passent au traversdu ventre du poisson^ dont la queue figure assez bien les basques d'un habit. Il porte au cou un gland attaché par un cordon qui entoure ses épaules, et qui peut être une décoration oli un ordre quelconque. Un nœud assez compliqué assujettit la peau du poisson à Tendroit où la cuisse la divise. Il y a là une allusion au maigre et aux abstinences, imposées alors par la force

Les Songes drolatiques de Pantagruel 19.jpg
LE PAPEGAUT
  • №: 19

Voici le saint oiseau de Tîle Sonnante, le noble et mirifique Papegaut, qui ressemble d'ailleurs à ce prince des contes des fées dont le nez servait de per- choir aux volailles. Son costume est plus militaire qu'ecclésiastique, et son pourpoint, en forme de clo- che, boutonné, festonné et fanfreluche, s'adapte à un capuchon qui enveloppe étroitement sa tête, et qui porte plusieurs plumes d'oiseau de paradis, allu- sion à la triple couronne papale. En réalité, cette tête n'est qu'un piot, une sorte de bouteille où une fêlure simule l'œil, et le goulot une bouche en forme de trompe. Il s'en échappe une baguette, ornée d'une passementerie à. glands et à franges, sur laquelle quatre oiseaux à huppes sont perchés. Le plus petit becqueté dans le goulot de la bouteille. Une lame de sabre émerge de la cloche, dont la partie inférieure a Tair d'un panier de siège ; •9 les pieds du personnage, chaussés de poulaines à roulettes, appuyés sur des éminences, se rattachent à des jambes perdues dans de larges pantalons. Enfin, le Papegaut porte en sautoir un carquois conique d'où sort un foudre noueux. C'est le Jupiter catholique, nourri par c les célestes oiseaux, lesquels journellement l'alimentent d'ambroisie et de nectar divins. »

Les Songes drolatiques de Pantagruel 20.jpg
JULES II
  • №: 20

Ce vilain personnage est assurément le pape Jules, qui 'prête si facilement à la satire. Sa calotte bor- dée d*hermine et surmontée d'une aigrette brillante annonce sa haute dignité. Sa face ignoble et bestiale ne répond pas à sa coiffure ; elle est empreinte d'une lourde béatitude ecclésiastique. Un sac bizarre, semblable à une serviette nouée autour de son cou, rejoint son bas-ventre, et laisse échapper, par une proéminence extraordinaire, un jet de liquide que le personnage semble expulser. Cette source féconde une touffe d'herbe^ d'où s'élèvent, sur des tiges de différentes grandeurs, plusieurs chapeaux de cardi- nal épanouis. Au-dessus de cette végétation insolite, la main gauche du personnage, couverte d'un gant fourré, brandit une sorte de moulin à vent, orné d'une banderoUe, dont les branches doivent être les clés de saint Pierre. jLa main droite tient une Ion- gue baguette. La jambe et la cu^isse gauches, à peu près nues, ne portent qu'une simple bottine; en re- vanche, la cuisse et la jambe droites sont revêtues d'unechausseàglandset d'un gant monstrueux qui fait ressembler le pied à une main bénissante. Une écumoire, passée dans cet attirail, nous paraît un simple attribut de goinfrerie. Bayle affirme que ce pape aimait le vin et les femmes.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 21.jpg
LA CHEVESCHE
  • №: 21

Il faut voir, dans cet oiseau de paradis à formes élégantes et à figure humaine, la femelle ecclésias- tique, la courtisane attachée à la fortune des cardi- naux, évéques et riches abbés, une nouvelle person* nification de la Chevesche, dont nous avons parlé à propos de la gravure XI. Les attributs dont elle est entourée disent son rang et sfi dignité. Sa toqUe, en forme de couronne, est armée de superbes ai- grettes ; un de ses pieds crochus se cache dans [une bottine de dame, tandis que Tautre soulève un en- censoir. On voit à son cou un ornement religieux, agrémenté d'un gland et de la croix pectorale, fourré d'hermine, et laissant flotter un cordon de cardinal. Au lieu d'appliquer cette gravure à la représentation personnelle de la chevesche ou du chevecier dont parle Rabelais, on peut y voir le symbole de Rome elle-même, inséparable du Pape et gouvernante de la chrétienté. Reste à savoir pourquoi le visage de Toiseau, en tant que féminin, est orné d'une barbe et d'une moustache fines. — Mais, dit Molière dans PourceaugnaCj j'ai vu des femmes qui en avaient tout autant..

Les Songes drolatiques de Pantagruel 22.jpg
MANDUCE
  • №: 22

Voici un réjouissant compère qui accepte hrst- vement son rôle de marmite. La marmite, c'est s^ tête elle-même, portant un triple menton, qui re^ pose immédiatement sur deux pieds solides munis de trois doigts chacun. Deux bras s'éloignent du rebord de la marmite et viennent appuyer leurs mains sur les joues. A l'un est suspendu un friquet ou écumoire carrée ; l'autre main, exceptionnellement gantée^ tient une lardoire garnie. La cervelle décoiffée de cette tête prodigieuse est couverte d'une foque suisse ou chapeau à crevés, dont le soulèvement laisse voir l'intérieur de la marmite, où plonge une cuiller à pot attachée à une longue ficelle. On ne peut méconnaître Manduce, roi des gastrolâtres ou gourmands. « C'estoyt, dit Rabe- « lais , une effigie monstrueuse, ayailt la tête plus « grosse que tout le corps,

Les Songes drolatiques de Pantagruel 23.jpg
PANTAGRUEL
  • №: 23

Voici Pantagruel, et d'abondant François i*', si nousen croyons les commentateurs. Cette explication n'est peut-être pas entièrement satisfaisante, et s'ap- puie, principalement sur les éperons de chevalier qui ornent les bottes du personnage, sur sa triple ai- grette, et surtout sur un bracquemart fantastique, terminé par une tête de bouc, muselée d*un anneau auquel pend un riche cofldon. Faut-il y voir une al- lusion aux mœurs faciles du roi et à sa soumission à la belle Diane, qui le menait, dît-on, — parle nez** — Cela peut se soutenir et s'admettre. Les inclinations guerrières du personnage sont indi- quées par la hallebarde qu'il tient et l'épée qu'il porte en sautoir. On s'explique peu la fantaisie qui lui a fait une tête monstrueuse, prenant la place de la poitrine, et surgissant d'une énorme coque d'œuf j brisée qui enveloppe la partie supérieure du per- sonnage. « C'estoyt, dit Rabelais, le meilleur petit c bonhpmet qui fut d'icy au bout d'ung baston.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 24.jpg
MAITRE JOBELIN
  • №: 24

Ce docteur de la Faculté, qui ressemble à Sancho Pança, et qu'on retrouve dans plusieurs gravures de Callot, est rbonnéte maître Jobelin, pédagogue du jeune Gargantua. Il a la boucbe ouverte pour péro- rer; il pue le pédantisme et renseignement. Toute- fois, la plume d'oiseau de Paradis qui pare son bon- net fourré montre qu'il est attaché à la cour. Comme Platon, il sacrifie aux GrâcQs. Son aumônière s'atta- che à une ceinture qui serre sa taille au-dessous de son énorme bedaine. Bonnet et robe de docteur; cordons entrelacés sur la poitrine ; un idiot là-des- sous. Ses gros gants ou mouffles, qu'il porte assez étrangement en vedette, semblent se rapporter à ce passage de Rabelais sur les précepteurs : « Leur savoir n'estoyt que besteries et leur sa- « pience n'estoyt que mouffles... i (Lz V. /, chap. xrv.) Mais faut-il voir, dans l'aumônière, que le précep- teur de François 1^ devait être en même temps son aumônier ? — C'est peut-être aller chercher les choses bien loin

Les Songes drolatiques de Pantagruel 25.jpg
PANTAGRUE
  • №: 25

Nous croyons que la signification de ce person- nage est assez difficile à préciser. On peut y voir, à la rigueur, Pantagruel partant pour combattre" € les paillardes andouilles, » coiffé d'un bonnet à panache et à plume , et brandissant de longs ciseaux ouverts. Il a Tair d'appeler ses légions. Son pourpoint de forme bizarre le fait un peu bossu ; il porte une dé- coration qui rappelle la Toison d'or. Delà main gau- che il serre des verges, et ses deux bras retiennent ' d'étranges prolongements de cuir ou d'étoffe qui vien- nent s'attacher à ses bottes à la hauteur du genou. Ses cuisses paraissent nues ; il arbore des nudités qui montrent qu'il va combattre chevaleresquement les andouilles, et leur donner un avantage égal. Il est fâcheux qu'il ait Tair de ramasser ses chausses. • Pantagruel, dit Rabelais, rompait les andouilles au genouil. »

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l'inquisition
  • №: 26

Une figure sinistre, cachée sous une cagoule qui ne laisse apercevoir qu'une bouche bestiale aux lè- vres serrées, type d*obstination et de cruauté ; un long vêtement religieux, avec pèlerine et amict ; un rosaire énorme; une épée à large coquille, qu^une main semble enfoncer au fourreau, — tels sont les caractères du personnage en qui s*incarne la très- sainte Inquisition. Sur son épaule, trois plumes d'oiseau de Paradis forment une espèce de panache. Une grosse mouche bourdonne au-devant de la figure, symbole de l'espionnage des familiers. « Il est commandé par les sacrées décrétales, dit Rabelais, de à feu et à sang mettre incontinent empereurs, rois, ducs, etc., dès qu'ils transgresseront un iota de ses mandements, les spolier de leurs biens et les occire. »

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l'inquisition
  • №: 27

Ceci peut passer pour une interprétation nouvelle du sujet précédent. Le caractère ecclésiastique de la figure est nettement indiqué par la toque carrée de rinquisiteur, la chasuble à petits plis et le gros ro- saire qui pend à sa ceinture. La douillette qui en- veloppe le bonhomme et qui tombe jusque sur ses pieds, chaussés de pantoufles, est ouverte au passage des bras, couverts de manches retroussées et terminés par des gants fourrés. La tête hypocrite, à fines oreilles, affecte un regard bénévole, démenti par un bec acéré qui réunit le nez et la bouche. Une aumô- nière bien garnie montre Tétat que le bonhomme fait des biens temporels, et s'accouple à un beau petit couteau pointu à égorger les hérétiques. La pose du personnage est avenante; il accueille et cherche à séduire. Mais s'il ouvre la bouche, h gamme changera : a Bruslez, tenaillez^ découpez, fri-. a cassez ces meschans hérétiques décrétalifuges dé^ c crétalicides.,. »

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LA CHEVESCHC
  • №: 28

Encore une personnification de Timmonde oiseau qui se nourrit des dépouillés des Papegauts, et que MM. Johanneau et Esmangard appellent assez irré- vérencieusement « la dame de compagnie du Pape. » Sa figure semble couverte d'un masque hideux, re- présentant une tête de cheval ou de chameau, dont ' le nez est percé d'une flèche, à la mode sauvage. Une gueule énorme dévore une des mules papales, pendant qu'une main gantée soulève Tautre mule, juchée au bout d'un cordon sacerdotal, brandi pour la circonstance. Un foulard en marmotte retient les cheveux de la dame, passablement mal peignée. Le costume est d'ailleurs tout ecclésiastique, malgré quelques recherches de coquetterie féminine : une robe et une pèlerine fourrée laissent voir une étole, dans laquelle on a pratiqué une poche qui renferme une quenouille et soutientle bâton d'un fuseau garni, qui caractérise le sexe du personnage. Un pied chaussé d'une riche pantoufle, l'autre chaussé d'une sandale montrent que la chevesche vit à deux râte- liers.

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l'oiseau gourmandeur de l'île sonnante
  • №: 29

Cette classe d'oiseaux, dont nous voyons apparaître çà et là des types différents, se compose, suivant Ra- belais, des commandeurs des i ordres ecclésiastiques, à la fois laïques et religieux, a Ce sont, dit-il, des oiseaulx métys. d ' En effet, ce bizarre personnage, encresté de huit plumes d'oiseau de paradis élégamment disposées, tient à la fois de l'oiseau et du poisson. Sa tête de carpe ou de chien se prolonge par des abats-joues en façpn de nageoires, qui finissent en ailes d'abeilles et rappellent les volants plissés des chasubles. La croix pastorale qu'il semble désigner, attachée à un riche cojlier, pare le gourmandeur, et, sous son pourpoint lacé, à travers sa braguette, se moulent des formes viriles, toutes en faveur de la réputation galante des moines. Il tient, en guise de crosse ab- batiale, un bâton surmonté d'une tête de coq à crête panachée et à longue langue effilée. Une étole tombe devant le personnage et balaie la terre, de fa- çon à abriter quelque peu ses formes trop accusées

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ANTIPHYSIE
  • №: 30

Cette mère Gigogne repoussante est l'Antiphysie, « partie adverse de nature, » qui, en haine de Thar- monie et de la beauté, epgendra Amodunt et Dis- cordance, « et d'abondant, les magots, cagots, pape- lards, etc., etc., et autres monstruosités. » En effet, cette affreuse vieille, dont le nez et le menton font alliance, coiffée d'un voile plissé qui encadre son visage et d*une capeline à pointes, vêtue d*une étole en fçrme de long tablier et d'une robe épaisse, est plus encombrée d'enfants qu'il ne convient à une mère de famille. Le poupon préféré auquel elle pré- bcnte un sein gonflé, est coiffé d'un bonnet de Folie à cornes et à plumes d'oiseau de paradis. Un second bambin porte un rosaire à Textrémité de son mail- lot; un troisième, issant dé la poche de la dame, at- trape au-dessous de la ceinture un sein qui s'avance obligeamment jusqu'à lui. Dans les bords inférieurs de la robe, retroussés et attachés par des agrafes, de façon à former un sac circulaire, grouillent des pou- pées informes, à panaches, à griffes et à becs de per- roquet. La vieille a l'air, d'ailleurs, detre affligée d'éléphantiasis, si l'on en juge par ses jambes énor- mes, serrées dans des guêtres boutonnées

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PANURGE
  • №: 31

Quelque respect que nous ayons pour nos devan- ciers, nous ne saurions voir, dans ce glorieux bra- guard, Physis raillant Antiphysis, placée à la page précédente. Les deux gravures ne nous paraissent avoir aucune relation. N'est-il pas plu^ naturel de voir, dans cet aimable railleur, Panurge allant en campagne amoureuse? L'air folâtre du personnage, sa toque à plumes de paon, ses manches à gigots, ses souliers à languettes, sont l'accoutrement ordi- naire du « bouffon du roi, d comme l'appelle Din- denaut. Il y a du Triboulet là-dedans, et nous ne voyons que Panurge, cette spirituelle canaille, ce vantard détrousseur de bourses et de femmes, qui puisse s'accommoder d'une aussi brillante santé, a Panurge voulut que la braguette de ses chausses fust longue de trois pieds, ..,• ce que fust faict, et a la faisoit biea voir... De faict, composa un beau a et grand livre avec des figures, {De la commodité c des longues braguettes^) mais il n'est encore îm- a primé, que je sache, x

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CaREMK- PRENANT
  • №: 32

Nouvelle satire sur les abstinences, les ennuis et les incommodités du carême. Cette cloche arrive di- rectement de Tlle sonnante, pour annoncer aux fidèles les jeûnes, les vigiles; et les prédications in- terminables que figure assez bien une langue de six pieds. La figure à maigres bras, juchée sur la cloche et qui la couvre à moitié de son pourpoint, est éoif- fée d'un bonnet de bouflon à deux cornes, qui tombe devant et derrière en deux longues pointes triangulaires. Le visage criard du personnage passe au travers du bonnet comme par une fenêtre. Ca- rême-prenant, pour réconforter ses adeptes, tient au bout d'une fourche une baguette, oti sont suspen- dus un hareng et quelques légumes racornis, qui pourraient n'être que de simples ornements. L'un d'eux a une vague forme de clé. On peut y voir éga- lement les signes du Zodiaque, correspondant aux mois de février et de mars, dans lesquels le carême se trouve forcément placé.

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CARÊME-PRENANT
  • №: 33

« Quaresme- Prenant, dît Rabelais^ avait les reins comme un pot beurrier. » Il nous faut cette autorité pour appliquer un nom à cette étrange figure. Un immense pot de beurre, en effet, couvert et ficelé, pourvu d'une anse, et dont un grand couteau crève la clôture, paraît contenir un personnage grotesque : S4 figure en casse-noisette passe par une ouverture pratiquée à la paroi du vase ; ses bras, qui ont Tair d'être attachés aux tempes, secouent une torche en- flammée, que nous prendrons pour Timage du feu que les aliments maigres allument dans le corps. Les cuisses du personnage sortent également du pot, et il a Tair de courir à perdre haleine, Va-t-il brû- ler les hérétiques? Une draperie assez étrange est suspendue au flanc du vase et tombe sur la jambe postérieure. Le couteau dont nous avons parlé ix)rte un caractère qu'on peut prendre pour un A (Alcofribas), ou pour un R (Rabelais)

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UN MUSICIEN DE l'aRMÉE DES ANDOUILLES
  • №: 34

a Pantagruel nous assure avoir veu... un gros ba- il taillon d'aultres puissantes et gigantales andouil- (( les, le lonç d'une petite colline, furieusement en « bataille, marchantes vers nous au son des vezes et « piboles, des gogues et des vessies, des joyeulx pifres a et tabours, des trompettes et clairons, n

La cuiller à pot dont ce musicien se sert pour frapper son tambourin, ne permet pas de l'enrôler autre part que dans Tarmée des Andouilles. Il tient également un fifre et paraît jouer des deux instru- ments à la fois. On ne s'explique sa mine refrognée que par le peu de satisfaction qu'il a sans doute d'al- ler en guerre. Son bonnet magistral est ceint d'une sorte de couronne; il porte au cou un ordre ou une décoration qui passe au-dessous de sa ceinture. La douillette fourrée qui l'enveloppe, ornée d'une poche de cuisinier, est lacée sur le devant. Les commen- tateurs lient la position de cette figure à celle de la suivante.

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NIPHLESETH, REJNE DES ANDOUILLES
  • №: 35

Cette matrone fièrement campée, les poings sur les hanches, les yeux inquiets, la lèvre soupçon- neuse, est Tauguste Niphleseth , reine des An- douilles. Sa coiffure à Titalienne finit par un chi- gnon qui se prolonge en une andouille gigantesque, dont la reine tient Textrémité. La robe de cour à queue^ à corsage lacé, à double jupe, à cordelière passementée, est conforme aux modes du temps. On ne peut dire précisément que Niphleseth manque de majesté, quoiqu'elle soit posée en harengère. Peut- être est' elle représentée au début de la bataille qu'elle livre à Pantagruel, en se tenant a près les enseignes, dedans son coche. » Après la défaite de son armée, elle demanda pardon au vainqueur, et lui souscrivit une rente de« soixante-dix et huict mille andouilles royales, moyennant quoi elle fut honora- blement traitée, mariée en bon et riche lieu, et fist plusieurs beaulx enfants, dont loué soit Dieu.

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LA PRAGMATIQUE SANCTION
  • №: 36

Nous préférons voir dans cette figure une allégo- rie religieuse, qu'une nouvelle représentation de la reine des Andouilles. Cette femelle repoussante aux yeux creux, au nez enfoncé, à la gueule immense, est coiffée d'un fagot d*épines, sur lequel niche un oiseau fantastique à long bec, à crête d'oiseau de paradis. Elle tient dans sa main une lardoire garnie, sur laquelle elle cherche à attirer l'attention. Sa robe paraît fort riche et ornementée de fanfreluches, dé- coupures, ganses, galons, glands^ olives et passemen- teries. Un collier superbe entoure son cou. a La Pragmatique Sanction, dit Rabelais, avec « son large tissu de satin pers et ses patenostres de « jayet. . . » Le costume est assez bien décrit. Mais Toiseau qui couve sur sa tête hérissée est-il censé faire éclore les austérités et les abstinences qu'elle prescrit? La lardoire est-elle un épouvantail dans sa main ?

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LOUIS DE BREZE
  • №: 37

Faut-il voir dans cette figure le plus grand cocu de son siècle ? Nous nous y accorderons volontiers. Le haut bonnet qui couvre cette face édentée, à pro- fil stupide et à cheveux plats, est pourvu d'un pa- nache qui annonce sa dignité conjugale. Fortement boss'U

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LOUIS DE BRÉzé
  • №: 38

Ceci est la seconde représentation du mari précé- dent, armé en guerre ou plutôt en chasse. C'est à la charge de grand veneur du sieur de Brézé qu'on a emprunté les traits principaux de cette nouvelle figure. Une tête de cheval au regard faux, qui res- semble aussi à un museau de crocodile, serre entre ses^ dents une flèche émoussée et empennée. Elle est coiflfée d'un bonnet fourré fort long, tombant en ar- rière et finissant en cornes. Ce fantoche tient une arbalète à ressort, qu'il vient de bander et qui est ar- mée d'une seconde flèche émoussée. Est-ce un sym- bole de maladresse, ou les coups du sieur de Brézé portaient-ils si peu? La figure paraît couverte et l protégée par une sorte de grande cuirasse triangu- laire à boutons et à pointes, dans laquelle nous ne saurions voir une culotte, malgré l'opinion des commentateurs. — « La flèche qui traverse la bouche, a disent-ils, annonce que sa femme, la belle Diane a de Poitiers, lui passait la plume par le bec, etquli « n'en était pas blessé. j> Cela est trop spiritueL Mak^ il faut constater une diversité de chaussures et d'éperons dans les deux jambes, dont l'une est mon- tée sur un haut talon, qui rappelle le surnom de « Maulevrier le boiteux, » donné au sieur de Brézé

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CARÊME-PRENANT
  • №: 39

Au milieu d'un étang ou d'une rivière poisson- neuse, s'élève un perchoir sur lequel se tient en équilibre un singe maigre, chaussé de bottines et montrant son dos. Sa longue queue, semblable >à une branche émondée, se prolonge jusquesdans l'eau oîi elle frétille. L'animal porte des gants four- rés ; il vient de pêcher une carpe, au moyen d'une ligne rustique amorce d'une plunie. Sa main gauche tient une écuelle remplie de sous marqués. Ce bizarre personnage est coiffé d'une calotte bor- dée d'hermine, sur laquelle flotte un pavillon dé- chiré, où le signe zodiacal du mois de mars est représenté. Une pèlerine couvre ses épaules et se termine par deux mains étendues, appliquées sur les omoplates. Tout cela est étriqué, mystérieux, inquiétant. Carême-Prenant récolte des aumônes, qu'il regarde d'un œil émerillonné, et donne en échange aux fidèles des carpes maigres, a II peschoit aen Taèr, dit Rabelais, et y prenoit des écrevisses dé- a cumanes. » Le chiffre de Tétendard prouve d'îiï^ leurs que le carême arrive en mars, — ou mars m carême.

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CARÊME-PRENANT
  • №: 40

On s'étonnerait de voir tant de personnifications satiriques du carême, si Ton ne se rendait compte de la tyrannie que faisaient peser sur les gens, au XVI* siècle, les commandements de TEglise. Il ne s'agissait pas de prescriptions religieuses qu'on pou- vait violer, mais de lois civiles appuyées de peines sévères qui frappaient les délinquants* La religion avait appelé à son aide le pouvoir séculier. Aussi se .sauvait-on par le pamphlet et la caricature. Caréme- Prenant, la face couverte d'un masque hypocrite, coiffé d'un béret à plume qui rappelle le nom de c Gonfalonier des Ictyophages » que lui donne Ra- belais, tire une langue desséchée par un jeûne échauf- fant. Chaussé d'éperons qui indiquent son impor- tance, il tient une corde qui peut passer pour une discipline offerte aux fidèles. Les commentateurs y voient la corde d'une cloche à sonner les offices. Des ciseaux passés à sa ceinture et Tétat modeste de sa virilité sont un indice de" la chasteté naturelle ou forcée, imposée parle temps auquel il préside.

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JEAN DES ENTOHHEURES
  • №: 41

Que Texcellent frère Jean rappelle le cardinal Jean du Bellay, ami et protecteur de Rabelais, par ses allures joviales, la rondeur et la franchise de son caractère, cela n*a rien d'invraisemblable. Çn peut voir, dans ce moine splendide, une charge avan- tageuse de ce prince de TÉglise. Le voici, largement étalé sur un siège rustique, dans une posture qui rappelle vaguement Hercule aux pieds d'Omphale. Le moine baye aux corneilles et semble tirer des fils d'une quenouille garnie, dans laquelle est planté un couteau, attaché à une ficelle ornementée. Soi^^ bonnet à pointe retroussée porte une queue qu tombe jusqu'à terre. A sa ceinture est attachée un( gibecière qui paraît contenir les outils utiles à so travail... Le cardinal du Bellay, baron de Saint-Maur-les Fossés, était abbé du couvent des Bénédictins d Saint- Vincent du Mans, grand chasseur à l'occa sion, et fort habile à faire du filet, ce qui nous ra mène à notre gravure. « En dépeschant nos matines ensemble, dit-il dan c Rabelais, je fays des chordes d'arbaleste et des « à prendre les connins. »

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MËSSIRE GASTER
  • №: 42

Voici le portrait du ventre, de ce Dieu rond qu'a- dorent les gastrplâtres et les engastrimytes, et que Rabelais dépeint avec tant de complaisance. Le ventre s'use et vit de lui-même. Il se personnifie dans ce tonneau qui se perce le flanc avec une espèce de scie et répand des flots de vin. La main inoccupée de ce hideux personnage brandit un cou- teau de 'cuisine. Sa tête affreuse^ plus large que haute, s'élève au-dessus du tonneau, et montre des yeux ronds, un vestige de nez et une bouche im- mense, prodigieuse, engloutissante. Le monstre a l'air d*avaler. Il a l'oreille rouge et le teint fleuri, comme Tartufe. En guise de coiffure, il porte un entonnoir ou un vaste couvercle à cheminée, qui paraît fermer le tonneau, quand il baisse la tête. Une magnifique plume d'autruche, qui peut-être n'est qu'un nuage de fumée, s'échappe de l'ouverture de l'entonnoir et proclame la puissance du person- nage. Ses pieds figurent des serres d'oiseau de proie. C'est le « Dieu ventripotent, premier maître-ès- arts de ce monde. »

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UN FRANC ARCHER DE CHARLES VII
  • №: 43

Ce soldat de fantaisie, qui tourne le dos au public et « s'en va-t-en guerre » en assez triste équi

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GRANOGOUSIER, PÈRE DE GARGANTUA
  • №: 44

Il y a, dans cette étrange gravure, quelquç chose qui ne se comprend pas au premier abord. La vaste marmite où fument c de copieuses tripes »^ fait évi- demment partie intégrante du personnage qu'on a voulu représenter, car elle est enveloppée du man- teau qui le couvre et dont elle remplit toute la ca- pacité. La tête, d'ailleurs, émerge directement du contenu de la marmite, tandis qu'uhe jambe est accolée à son flanc. Il y a certainement parti pris de confondre le goinfre avec le vase. La ' tête du mangeur, couverte d'un pan de manteau, rappelle celle de Gaster; c'est un engloutisseur qui brandit une cuillère d'une main, et de l'autre s'attache au bord du plat qu'il convoite. L'écumoire paraît être pn simple ornement. « Les tripes furent copieuses, comme entendez, et « tant friandes estoyent que chascun en leschoit ses « doigts. Mais la grand'diablerie à quatre person- € nages estoit bien en ce que possible n'estoit lon- « guement les réserver , car elles fussent pourries, « ce que sembloit indécent. D'ond fut conclus qu'ils « les bauffreroient sans rien y perdre Le bon- t homme Grandgousier y prenoit plaisir bien grand « et commandoit que tout allast par escuelles. » (Liv, /,

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UN DIABLE CHEZ LES PAPËFIGUES
  • №: 45

Nous avouons humblement que, sans Tavis des commentateurs, nous serions fort embarrassés de classer cette étrange petite figure. Ils y voient « évi- demment » un des jeunes lutins auxquels llle des Papefigues avait été abandonnée, en punition de son irrévérence envers le pape. Il faut bien se contenter de cette explication, quand on n'en a pas d'autre. Mais on peut voir aussi dans ce personnage un des acteurs montrant la dia- blerie dans les carrefours, dont il est question dans l'histoire de Tappecoue(//v. /F, chap, xiu), ou quel- que autre type secondaire du Pantagruel.... Un corps d'ours, reposant sur deux grosses pattes griffues; un capuchon-manteau descendant jusqu'à la taille devant et derrière, dessinant la tête et déga- geant deux maigres bras qui tiennent une longue trompette; un ornement singulier — une plume? — se recourbant à l'extrémité de l'instrument; un ro- . saire en Bandoulière.... — Est-ce bien un4iable? « Un jour, dit Rabelais, ung petit dyable avoit de « Lucifer impétré venir en ceste isle des Papefigues, « soy récréer et esbattre, en laquelle les dylbles « a voient familiarité avecque les hommes et femmes 'a et souvent y alloyent passer le temps. »

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PANTAGRUEL
  • №: 46

On s^explique assez difficilement comment l'ar- tiste a donné des échasses à un géant^ — si du moins il a voulu i^eprésenter ftgintagruel. Le^om- mentateurs s appuiêht js^r deux passages de R^be- lais, qiii semblent vouloir réduire la taille de 'son héros, i Cestoyt,. dit-il, le meillétrf ^jerrr bonhjbmet ^ui fust d'icy au bout d'ung baston; ij fZzv. //, . ■■;, ^.■:■' chap. XXXI.) — Et plus loin : « Je vous ai desjà dict que c'estoyt le meilleur petit et grand bonhomet qu'oncques ceignît respéc. » {Liv, III^ chap. n.) Pour nous, ce sont des antiphrases, car si l'on peut reprocher quelque chose à «naître François, ' c est d'avoir, dans un jour d'hyperbole, exagéré la taille de son héros et placé des villes fortiftées dans ses dents creuses. ' Toutefois, sans bien comprendre pourquoi ce petit personnage est monté sur âe, hautes écbasses à roulettes, nous ne ferons pas difficulté d'y re- connaître Pantagruel ou François Je^", dont ïe profil est assez ressemblant, malgré la troiïipévd'éléphant qui remplace le nez du roij, — ou peut-être â cause dé^'èéià. Son bonnet de coton a pour soubassement une couronne ; il porte au cou une immense fraise, et menace avec un bâton qui se termine en tri- dent. Ajoutez un air farouche, des gants de mous- quetaire et de longues oreilles; — c'est plus qu'il n'en faut pour affirmer une Majesté

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PANURGE — LE CARDINAL DE LORRAINE
  • №: 47

Panurge, dit Tédition de 1825, et nous ne voulons pas la contredire. Mais ce personnage allégorique est tout au plus une allusion à Texcellente histoire de « Panurge gagnant les pardons. » Il semble offrir d'une main aux gens un goupillon semant les indul- gences, et de l'autre il empoche les grands blancs qu'il détourne du plat du quêteur, ou qu'il dérobe à la piété des fidèles. Il y a par conséquent dans la gravure un sens détourné, car Panurge vole l'Eglise, tandis que la figure représentée semble voler pour l'Eglise. Dirons-nous, avec les commentateurs, que Pa- nurge personnifie le cardinal de Lorraine, grand inquisiteur en France sous Henri II? Panurge, se- lon nous, est une création plutôt qu'une carica- ture. Le couteau qu'il porte en sautoir peut être une allusion aux cruautés de Tinquisition; sa tête, transformée en bénitier et ornée de longues oreillesi peut être une satire de la sainte bêtise du temps. Ce visage semble crier et appeler les fidèles à l'of- fi-ande. Mais nous ne pouvons voir, dans ce donneur d'eau bénite, un prédicateur assis en chaire et couvert d'habits sacerdotaux

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PANURGB — LE CARDINAL DE LORRAINE
  • №: 48

Panurge n'est guère plus reconnaissable dans cette gravure-ci que dans la précédente. Pourquoi vouloir lier son personnage à celui du cardinal de Lorraine, que nous y trouvons bien plus facile- ment? Ce maigre individu, vêtu du costume ecclé- siastique, et coiffé d'un large couvercle muni d'une anse, est évidemment un prince de l'Eglise. Le cou- vercle a toutes les allures d'un chapeau de cardinal. Une écharpe entoure sa taille. De ses bras décharnés il secoue un sac'au-dessus d'un puits. Il s'en échappe un gros livre à fermoirs, un peu volumineux pour un bréviaire, dont il se débarrasse avec un plaisir évident. Ses yeux faux et sa bouche hideuse expri- ment une étrange satisfaction. Panurge était sans doute impie ; il n'est pas be- soin de citations pour le démontrer. Mais ne pour- rait-on pas voir dans cette figure une allusion plus directe aux hérésies naissantes de l'époque? Cette figure railleuse n'est-elle pas la Réforme, jetant dans l'oubli, — sinon la Bible catholique, — du moins les sacrées décrétales et les bulles des successeurs de Saint Pierre?

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TREPELU
  • №: 49

Un soldat d'aspect farouche, assis sur une borne, tient une arquebuse qu'il charge. Il est habillé sim- plement en bourgeois : justaucorps, pourpoint et haut-de-chausses. Ses jambes sont sommaires et sa chaussure primitive. Un long sabre à pointe re- courbée est passé à sa dbinture. Son profil est celui , d'un singe ; deux dents horribles partent de sa mâ- choire supérieure et descendent vers la terre. Des cheveux longs et plats tombent sur ses épaules et lui donnent quelque ressemblance avec un caniche à longues oreilles. Sa casquette ou son chapeau à la mode du temps s'incline sur son front, et se prolonge en une pointe ridicule qui se termine par un gland. Faut-il voir, dans ce capitaine de triste figure, le seigneur Trépelu, commandant les seize mille ar- ; quebusiers et les trente mille aventuriers, qui fof" maient Tavant-garde de Picrochole ? a Ces dignes compagnons spadassins, bas de fesses, «j •< merdailles et aultres capitaines de Picrochofc» a n'estoyent que maraulx, pilleurs et brigands.

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GRANDGOUSIRR
  • №: 50

Ici réquivoque n'est pas possible : Il s'agit du bonhomme Granclgousier, en dispute avec sa femme en mal d'enfant : — c Courage de brebis ! disoit-il, despechez-nous de cestui-ci et bientost en faisons un aultre. — Ha! ditt-elle, tant vous parlez à vostre aise, vous aultres hommes. Bien de par Dieu, je me parforceraiy puisqu'il vous plaist, mais plust à Dieu que vous l'eussiez coupé ! — Quoi ? dit Grandgou- sier. — Ha ! dist-elle, que vous estes bon homme ! vous l'entendez bien. — Mon membre? dist-il. Sang de les cabres! si bon vous semble^ faictes appor- ter un coulteau. — Ha! dist-elle, ja, à Dieu ne plaise!... ». Grandgousier parlait de bon cœur, si nous &t croyons son air résolu et le geste hardi par lequel il menace sa virilité splendide. On voit qu'il est chez lui, en costume du matin, réveillé par les cris de sa femme, — en pantoufles, robe de chambre et bonnet de nuit. Toutefois, une plume de paon accrochée à sa coiffure lui donne une certaine dignité. Quant aux jets de salive qui jaillissent de ses lèvres, on peut leur faire exprimer la plénitude d'es- tomac du bonhomme, qui venait de boire à perdre haleine à la santé de l'enfant et de la mère. D'ail- leurs, si l'on voit dans Grandgousier Louis XII, c'est une allusion toute naturelle à l'ivrognerie bien connue du Père du Peuple.

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FRANÇOIS 1"
  • №: 51

Voici un profil qui ne trompe pas, quoiqu'on ne puisse voir la bouche en cœur du monarque qui mérita d*étre appelé c le Restaurateur des lettres. » Ses grands éperons de chevalier', les plumes d'oiseau de paradis qui forment un plumet à la douillette qui Tenveloppe des pieds à la tête, sont des mar- ques suffisantes de sa dignité. Cet infirme royal se traîne péniblement ; son menton est engagf dans une bavette en entonnoir; de ses mains il soulève sa cuisse, comme pour aider à sa marche chancelante et soulager une douleur dont le foyer nous est caché. François est évidemment atteint du mal de Naples que lui communiqua si libéralement la belle Féron- nière. Rabelais en parle à la seconde strophe des Fanfreluches antidotées : Mais l'an viendra signé d'ung arc turquoys, De cinq fuseaulx et trois culs de marmites, (xvie siècle) Onquel le dos d'un roy trop peu courtoys Poivré sera soubz ung habit d'hermite... (L/v. /, chap. rv.) La bavette était attribuée aux véroles pour qu'ils ne fussent pas incommodés de leur salivation.

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PANURGE — LE CARDINAL DE LORRAINE
  • №: 52

Ce Panurge sérieux et quelque peu féroce est donné par les commentateurs pour -une représenta- tion du cardinal Charles de Lorraine. « Il était si bien fait et avait la mine si haute, dit l'histoire, que, quand la pourpre ne l'aurait pas distingué des autres hommes, ceux qui s'y connaissaient le moins eussent assez jugé, en le voyant, qu'il était de la première qualité. • Le cardinal de Lorraine, soit; mais Panurge , non. Ce châtelain soupçonneux, à la mine défiante, riche- ment vêtu, armé de Tépée et de la dague, portant sa iTOurse à la ceinture et ses gants au bout d'un ru- ban, est assurément un grand seigneur. Mais j'y cherche vainement les traits de cette aimable ca- naille de Panurge, dont la vraie ressemblance décore l'entrée de ce volume. Dans ces genoux cagneux, ornés de jarretières en- rubannées^ dans ce pied levé et cette démarche am- biguë, on veut voir l'indice des vices de Panurge, de âa couardise et de son libertinage. Cela nous parait sujet à discussion. Laissons ces agréments naturels au cardinal de Lorraine, ami intime de Henri II

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PANTAGRUEL — FRANÇOIS 1«
  • №: 53

Nous retrouvons, dans ce malade, l'amant de la belle Féronnière et de la duchesse d*Étampes, ce qui n*a rien de précisément flatteur pour ces dames. C'est l'infirme de la li* figure, avec la bavette qui reçoit la salive a quand le gosier lui escume comme verrat. » Le grand François — n'avait-il pas six pieds? — est coiffé d'un bonnet à trois poin- tes ornées de glands, avec une quatrième éminence d'oti s'élèvent des plumes d'oiseau de paradis, signe de souveraineté. La partie inférieure du corps semble nue; le pied droit chausse une pantoufle bordée d'hermine ; le pied gauche, qui porte déjà une bottine ornementée, soulève une pantoufle pareille. Un pourpoint, qui finit en blouse, enveloppe le buste du personnage qui fait le gros dos, peut-être par l'effet de la douleur qu'il ressent. Il pratique en effet sur lui-même une épouvantable opération. Sa main droite plonge une sonde dans son énorme phallus, tandis que la main gauche tient un instrument à crochet et à fourchette, qui va probablement jouer s6n rôle dans cette chirurgie. Pourquoi faire remonter à Pantagruel l'injure de ces mœurs vulgaires? Rabelais dit un peu gratuite- ment : « Peu de temps après, Pantagruel tomba « malade, et lui pristune pisse-chaulde, qui le tour- « menta plus que ne penseriez.

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JEAN DES ENTOMMEURES
  • №: 54

Frère Jean nous paraît jouer, dans cette gravure, un rôle de dupe qui n'est pas dans ses habitudes. Il chante des antiennes à un oiseau sacré, à peu près déplumé, qui doit être le l^apegaut adoré des Papi- manes. L*oiseau lui répond irrévérencieusement, en lui lançant un argument grossier et salissant. Frère Jean semble étourdi de cet accueil; il reste en expectative, l'œil rond, la bouche béante, la fi- gure cachée sous une cagoule qui dessine cependant ses traits et lui fait une figure de chat. Son doigt suit encore, sur le livre de musique qu'il tient ou- ^^ert, le passage entonné. Le reste de son costume se compose d'une robe ecclésiastique à plis et d'un chapeau d'une grandeur démesurée, qui font songer au cardinal du Bellay. Quant aux ciseaux passés à sa ceinture, ils sont un emblème de paillardise aussi bien que de chasteté. « Sus le poinct de beati quorum, s'endormyrent « l'un et Taultre... Mais le moyne, ayant le mynuict <c esveillé, tous les aultres e^veilla, chantant à pleine « voix la chanson : Ho ! Regnault î resveille toyl »

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CAREME-PRENANT
  • №: 55

On ne sait trop pourquoi cette figure produit une impression maigre et quelque peu ascétique, malgré sa rotondité. Elle a de vagues ressemblances avec un œuf à la coque; elle rappelle également les gour- des que les pèlerins portent au bout d'un bâton. Un bonhomme rondelet, à figure camuse et attentive, , est vêtu d'une sorte de bourse serrée au cou et divi- sée en deux sphères inégales. De la plus petite émerge son visage; de Tautre ses bras et ses jambes; sur sa tête un nœud figure une sorte de gland d'où s'échappe une Ibngue corde qu'on peut prendre pour une discipline, et qui vient s'enrouler autour du cou du personnage. Il porte, par-dessus cet habit étrange, une espèce de chappe ou de froc qui traîne jusqu'à terre derrière et devant. Rabelais a donné à Carême-Prenant tant d'attri- buts baroques, qu'il est/facile de justifier le nom que nous prêtons à ce fantoche. Toutefois la rotondité ^de son ventre ne s'accorde pas avec les austérités du carême. Sa posture discrète et révérencieuse rachète m un peu cette exhubérante santé.

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JULES II
  • №: 56

Nous retrouvons, dans cette figure décidée, le pape belliqueux que Rabelais se plaît à nous montrer sous tous ses aspects. Cette fois, le chef militaire l'emporte sur le pontife, et les dignités ecclésias- tiques du personnage ne sont indiquées que par ses manches fourrées d'hermine et son vaste capuchon de moine, à cocarde, à plume et à gland, qui ne res- semble pas mal à un bonnet phrygien : — De ce capuchon, rabattu jusques sur les yeux, sortent une barbe hérissée et de terribles moustaches. La robe du guerrier, boutonnée sur le côté, est bizarre- ment découpée dans le bas ; une sorte de bavette, ' pareillement frangée, s'attache à son cou par une grosse boucle. La partie postérieure de la robe traîne à terre et se termine par un ornement; c'est un vê- tement mi-partie, bouclier par devant, chappe par derrière. Une main sur la poignée d'une longue épée, Jules tient de l'autre un drapeau dont la hampe est ornée de grains de rosaire. Il est en marche. L'aspect de la figure rappelle à merveille les inclinations turbulentes de ce successeur de Saint Pierre.

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PANTAGRUEL
  • №: 57

Un archer bien portant, vêtu de chausses col- lantes, tourne le dos au public, etvise un but inconnu avec une arbalète garnie d'une flèche émoussée. Il est coiffé d*un bonnet de linge qui retombe sur ses épaules et qui porte trois plumes d'oiseau de para- dis, ce qui permet de supposer un grand personnage caché sous ce costume vulgaire. Auprès de lui, accrochée à un buisson, est une trousse d'archer, renfermant des flèches et munie de sa bandoulière. On peut voir, dans cette figure, le Jeune Pantagruel s'exerçant au tir de l'arc, par les ordres de Gargantua. a Ainsy, dit Rabelais, croissoyt Pantagruel, et son père lui feit faire, comme il estoyt petit, un ar- baleste pour s*esbattre après les oisyllons, qu'on appelle de présent le grand arbaleste de Çhantelle. »

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LA GRANDE JUMENT NUMIDE DE GARGANTUA
  • №: 58

Les commentateurs voient, dans cette étrange et monstrueuse figure, une allégorie aux amours de François l^^ et de Diane de Poitiers, ou, si nous rentrons dans le texte du Pantagruel, une image de l'accouplement de Gargantua avec la jument qui lui fut envoyée d'Afrique. Il est certain que la face encapuchonnée de ce personnage représente une tête de cheval, dont le nez vient reposer sur une énorme bedaine. Les plumes d'oiseau de paradis qu'il porte à la main et sur la tête, Técusson qui pare son camail, le geste de bénédiction de sa main parée d'un gant magnifique, tout indique la dignité de ce masque. Mais, au sceptre qu'il tient, terminé par un pied de bouc, et au phallus énorme, supporté par des roulettes, qu'il pousse devant lui, nous le pren- drions plus volontiers pour une représentation du Dieu Priape ou de saint Guignolé. Voici le texte qui a rapport à la jument de Numydie : a En ceste même saison, dit Rabelais, Fayoles, quart-roy de Numydie, envoya de Affrique à Grand- gousier, une Jument la plus esnorme... et avoyt les pieds fendus en doigts... mais surtout la queue horrible... « Esmerveillez-vous dadvantage de la queue des bé- liers de Scythie, esquelz fault affuster une charrette au cul pour la porter.

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EUSTHÈNES
  • №: 59

Ce compagnon de Pantagruel a un nez en trompe d*éléphant que rien ne justifie, sinon sa sagacité à deviner, à pressentir l'approche des ennemis. Son chapeau pointu, à longs poils, est orné d'une véri- table profusion de ^panaches. Habillé d'ailleurs d'une redingote à la Russe par-dessus sa tunique^ il porte à la ceinture une large paire de ciseaux, que Rabelais nous habitue à regarder comme un emblème charnel. Cette opinion est justifiée par la singulière éminence que révèlent les vêtements du personnage, immédiatement au devant de lui. Ce soldat de fortune porte le bouclier et la hallebarde. C'est décidément Eusthènes, a ce -gros paillard fait comme quatre bœufs, » dans lequel les commentateurs veu- lent voir Hercule d'Esté, second du nom, généralen chef des troupes françaises sous Henri II. Ses vic- toires seraient indiquées par les plumes qui parent sa coiffure. « Je, dist Eusthènes, leur rumpray^bras et jambes, car je suis de la lignée de Hercules, d

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JULES II
  • №: 60

Ce glorieux pape est représenté avec de nombreux attributs qui s'effacent devant une nudité mons- trueuse. Le phallus qu'il découvre est semé d'épin- gles comme une pelote, allusion fort claire à une ma- ladie cruelle, — dont il rend compte à Saint Pierre, dans un dialogue de Bayle. Cependant la figure du personnage exprime moins la souffrance qu'une raillerie narquoise. Il porte sur le poing, superbe- ment ganté, un faucon encapuchonné, dans lequel on peut voir aussi une linotte coiffée, emblème de la courtisane ecclésiastique à laquelle Jules devait la perte de sa santé. Il est extrêmement probable que le phallus et l'oiseau sont en relations de cause et d'effet. Le vaste chapeau de cardinal à péndentife, orné d'une escarboucle et d'une plume d'autruche, le glaive à fourreau brisé et à riche poignée, lagibe- cière d'où s'échappe un rosaire, et qui paraît destinée à rassembler les tributs de la chrétienté, la manche galonnée, l'éperon de chevalier attaché à de simples mules, tout désigne d'ailleurs le rang et la qualité de ce pontife éminent

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HENRY CORNEILLE AGRIPPA
  • №: 61

Médecin, empirique, charlatan, il y a un peu de tout cela dans cette figure, qui appartient certai' nement à un membre de la Faculté de médecine. Le personnage est chaudement vêtu, et par dessus la douillette qui couvre son pourpoint, porte un tablier de préparateur ou d'apothicaire , qui paraît fourré sur les bords. Il est coiffé de deux chapeaux; Tun, en forme de gros bonnet panaché de petites plumes ; le second , en forme de toque, posé sur le front et orné d'une fleur des champs. L'énorme bosse de l'individu est probablement pleine de mé- dicaments et de drogues. Un ibis, perché sur cette éminence, lève la patte , comme pour annoncer la panacée dont il est l'emblème. Cest dans cet atti- rail que le bonhomme broie des substances dans un vase allongé, au moyen d'un pilon à long manche qu'il tient des deux mains. Les commentateurs voient dans cet ustensile un tambourin fait pour appeler la foule; nos lecteurs choisiront entre te deux explications. « En icelle heure, dit Rabelais, vint vers nous ufi « navire chargé de tabourins, en lequel je reconnos « quelques passagers de bonne maison, entr'aatref « Henry Cotyral, compaignon vieux. .. »

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SAINT BENOÎT
  • №: 62

Nous saluons, dans cette figure de singe, vêtu d'une sorte d'habit ecclésiastique, le grand Benoît, fonda- teur et patriarche de Tordre des Bénédictins. Son bonnet est] paré d'une plume magnifique qui est le signe de sa dignité. Son ample robe, relevée sur le devant et traînante en arrière, porte au bas un large galon d'hermine et paraît ornée de figures circu- laires, où Ton peut voir des coquilles de pèlerins. Une sorte de camail ou de capuchon très-épais lui entoure les épaules et tombe sur son dos, agrémenté de glands et de gros boutons. Le personnage semble avoir une jambe de bois ; Tautre, assez informe, est beaucoup plus grosse; les commentateurs y voient une allusion à la botte de Saint-Benoît, que Ra- belais dit être la grande tonne des Bénédictins. Il porte dans ses bras un poupon emmailloté, qu'on reconnaît pour l'Enfant Jfésus, à la profusion de plumes d'oiseau de paradis qui s'élèvent en éventail au-dessus de sa tête. Le bambin tient dans ses mains un hochet, une sorte de scapulaire, ou peut-être une discipline. — Saint Benoît, qui vivait au vi« siè- cle, pouvait d'ailleurs avoir les cheveux longs et plats, malgré les prescriptions de sa règle

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ALBIAN CAMÀR, PORTIER DE l'iLE SONNANTE
  • №: 63

aître» éditue)

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RIFLANDOUILLE
  • №: 64

Ce vigoureux compère à bonne figure, à face épa- nouie, est rémule de Tailleboudin, — le colonel Riflandouille, commandant les gens de la nef Bre- sidière. Son bonnet fourré, à peu près taillé comme un bonnet phrygien, porte un galon en forme de couronne et un panache qui annonce son rang militaire. Une vaste redingote à la propriétaire en- veloppe ce personnage qui montre à sa ceinture de cuir une aumonière bien garnie. Le témoignage d'une virilité généreuse dépasse sa tunique et com- plète la bonne opinion qu'on peut se faire d'un pareil soldat. Il est muni pour toutes armes d'une écumoire ou cuiller à pot; sur sa poitrine^ du côté droit, s'étale une décoration à aiguillette, en forme de coquillage, qui rappelle les médailles militaires ro- maines. On s'explique moins pourquoi le coude du bras droit est déchiré, c Riflandouille, la main dans sa redingote grise, affecte d'ailleurs la pose d'un capitaine célèbre. tt Rifiandoùille rifioit andouilles » dit Rabelais « en rendant compte de la guerre andouillicque. »

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HBKRY CORNEILLE AGRIPPA
  • №: 65

Voici une nouvelle caricature du célèbre empi- rique que nous a déjà montré la figure Lxi. Cette fois, le tambourin n*est pas douteux, car il fait par- tie intégrante du personnage dont il remplace le buste tout entier. Sur les flancs du tambourin est immédiatement placée la tête du charlatan, coiffée d'un bonnet à fanfreluches qui traînent jusqu'à terre, et surmonté de cinq panaches ou herbes mé- dicinales. Un de ses bras sort de son cou et frappe • avec une baguette sur la partie du tambourin qui lui sert de ventre ; Tautre porte au bout d'un bâton ribis qui symbolise la médecine universelle. I^ langue que ce fantoche tire complaisamment ^^^ également signifier son éloquence facile, ou le cas médiocre qu'il fait des clients qu'il empaume. Son haut de cl^ausses, boutonné du haut en bas, dessine une braguette monstrueuse, élégamment attachée au tambour par un nœud de ruban. C'est une allu- sion probable au cynisme du personnage. Henry Cotyral était de bonne famille et devint médecin de Louise de Savoie et de son fils Fran-* "-^ çois !•'. Il est probable que c'est lui qu'a voulii dé- signer Rabelais sous le nom de Her Trippa.

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UN CHARLATAN
  • №: 66

Reconnaissez^vous l'allure d'un des plus célè- bres grotesques de Callot? N'est-ce pas paiement le type'd'ua des plus fameux fantocini de la Comédie italienne? Peut-être faut-il voir dans cette toage le médecin de François P', qui figure d^ aux planches lxi et lxv. Nous retrouvons ddos ce per- sonnage la double bosse^ de Polichinelle, sur la- quelle est perché l'ibis salutaire. Son bonnet d'empirique, pencné en avant, est paré de longs pa- naches. Il sonne du cor pour attirer la Ibule, et porte à sa ceinture un second instrument qui res- semble fort à une clarinette. Ses maigres jambes, chaussées de sandales, sont couvertes d'oripeaux qui lui laissent le derrière à peu près nu. Dans la pénombre se dessine un vigoureux indice de virilité, qui doit exprimer Teffronterie naturdle du charla- tan. Il a l'air de courir, d'ailleurs, en jouant de la trompe. Ses bras grêles, vêtus de mandhes à O^ vés, aboutissent à de toutes petites mains qui sont une preuve de sa profession libérale.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 67.jpg
MESSlRE GASTER
  • №: 67

Nous revoyons ici le puissant Manduce, le Ventre-Dieu, roi des Gastrolâtres, avec une coiffure pareille à celle qu'il porte à la P. xlii; — vaste entonnoir ou couvercle de four de campagne d'où s'échappe un panache d'ondoyante fumée. La figure du personnage est également la même, mais sa bou- che monstrueuse est fermée et son profil est celui d'un crapaud. Largement assis à terre, il est paré d'ailes de surplis, semblables à de longues oreilles de chien. Des jambes et des cuisses maigres et souf- freteuses, se replient des deux côtés de son ventre omnipotent. Il tient, d'une de ses mains armées de griffes, une fourche en forme de sceptre, qui supporte une figurine mangeant à deux cuillères à la fois. Manduce a l'air de taire la leçon à cette poupée gourmande, enfroquée comme un moine, allusion • directe à la gourmandise claustrale. H étale d'ailleurs des dons naturels qui montrent l'alliance intime des excès de la table et des dé- bauches des sens. « Manduce, dit Rabelais, sur ung long baston «doré portoyt une statue de boys mal taillée »

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PANURGE LE CARDINAL DE LORRAINE
  • №: 68

Nous croyons qu'il faut s'en tenir au cardinal. — • Il est considéré ici, disent les commentateurs, comme ami du vin et comme grand inquisiteur.» On ne saurait refi^ser un défaut à Panurge, très^ évidemment ivrogne à ses moments perdus, mais nous ne saurions le voir préoccupé d'hérésies et « d'hérétiques. Un grand gaillard, encapuchonné et encamaillé, dont le buste cylindrique a la forme d'un tonneau, est assis carrément à terre, et vide, à tête renversa, le fond d'un verre de vin. De sa main libre il tient une épée à dents de scie qu'il dirige derrière lui , comme pour se préserver d'une attaque de traître. Les jambes et les cuisses du personnage sont maigres et grêles ; les pieds se terminent par trois doigts crochus. De larges ciseaux, passés à sa ceinture, sont l'indice d'une virilité qui ' d'ailleurs ne se montre pas. Le cardinal de Lorraine, vert galant et grand bu- veur, était surnommé le cardinal des Bouteilles. Cela nous paraît le seul argument qu'on puisse faire valoir en faveur de l'explication de cette figure. Mais nous ne nous rendons pas compte de la végétation qui paraît sortir de son capuchon renversé, à moins qu'elle n'appartienne à quelque arbuste en perspective dont la tige e%t c3LcVv€fe.

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CARÊMK-PRENANT
  • №: 69

Cette figure étrange qui s'avance, et dont les traits semblent enveloppés d'une cagoule transparente at- tachée à un long camail, est une caricature reli- gieuse, que nous appellerons Caréme-Prenant par déférence pour les commentateurs. Sa tête bossuée prêterait à de curieuses études phrénologiques. Faut- il supposer que les pensées qui la remplissent sont traduites par ces longues palmes, qui rappellent les ' coifiures indiennes, et qui seraient Temblême des récompenses éternelles auxquelles le bonhomme as- pire. Ses jambes se terminent par des pattes de lion, indices de la fermeté avec laquelle il marche dans sa voie. Il^porte un chapeau de cardinal en bandou- lière et le soutient d'une main. L'autre, couverte d'un riche gant fourré, sert de perchoir à un oiseau ,à figure humaine , encapuchonné d'un bonnet à trois pointes, dans lequel il est facile dç recon- naître le Papegaut, objet de l'adoration du person- nage. « Je porte gris et froid, dit Quaresmeprenant, <c rien devant et rien derrière. »

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GARGANTUA — FRANÇOIS l"
  • №: 70

Il est impossible de ne pas reconnaître dans ce profil le roi galant, armé chevalier par Bayard. On retrouve aisément aussi dans cette figure un des plus célèbres mendiants de Callot* Les superbes éperons qui parent ses bottes à Técuyère sont la preuve de sa haute dignité. Il est curieusement armé d'un sabre à pointe recourbée, qui se croise avec un arc grandissime, dont la corde lâche ex- prime le fâcheux état sanitaire du personnage, — au moyen d'un calembour que nos lecteurs devineront facilement. Le roi François est coiffé d'un long bonnet de nuit à mèche, qui retombe sur un man- teau fort raide à collet festonné, échancré dans le dos et des deux côtés. Révérence parler, l'agrafe qui retrousse le manteau par derrière a l'air de l'épingle qui soulève, en temps opportun, la chemise des petits enfants. La main droite gantée s'appuie sur la poignée du sabre; la main gauche libre accompagne de ses gestes un discours que fait le « vérolez très-précieulx. » L'accident était, du reste, familier au vain- queur de Marignan, si l'on en croit le journal de sa mère Louise de Savoie, qui fait remonter à i5i2 ses débuts malheureux dans la galanterie. Fran- çois alors voyageait en Guienne et n'avait que dix- huit ans.

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GAK6A1IELLE AMIIE DE BRETAGNE
  • №: 71

« BeUe gouge et de bonne troigne » dit RabeX^*-^^» en parlant de Gargamelle. .Nous ne voyons au^:^*^^ inconvénient à ap(^quer ces agréables paroles ^ ^ reine Anne, d'autant plus que la fécondité, si c^ rement écrite dans notre gravure, fut une de qualités. Il est certain que notre figure représer^^^ une dame du plus haut rang; ce qui le prou c'est le casque de chevalier, à visière baissée, co ronné de Toiseau de paradis, qui remplace la On n'aperçoit aucune ligne du visage dans l'ouvc ture du casque, qui semble continuer le cou de X^ dame' et s'y souder invisiblement. N'est-ce pas u allusion à la raison d'État qui gouvernait le cara< tère d'Anne et qui faisait céder les instincts de ^^ femme à ses idées ambitieuses? Une de ses mair^^ s'appuie sur son ventre arrondi; l'autre tient ui^^ sorte de bouquet , symbole de floraison et d'épSL — nouissement. Sur le galon qui borde sa jupe on li '^ à rebours le mot Orotestor, sur lequel peut s'exer^^^ cer la sagacité de nos lecteurs. La robe est décolle-^ tée et ornée de passementeries; du cimier du casque tombe un très-long voile qui vient l'entourer.' Ann^ était boiteuse, ou du moins avait une jambe un peu plus courte que l'autre, ce qui semble exprimé par un détail curieux de la figure, qui se trouve avoir les deu^ pieds réunis dans une seule et même pantoufle.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 72.jpg
GARGAMELLE — ANNE DE BRETAGNE
  • №: 72

Nous ne saorions voir, avec les commentateurs, un livre d'heures à fermoir, ouvert sur la tête de la reine Anne, dans la coiffure que cette gravure re- présente. C'est un simple chapeau à Titalienne, qui rappelle, soit la dévotion superstitieuse qui faisait Anne sujette du pape, soit la guerre d'Italie entre- prise par Charles VIII, son premier mari, qui plaça pour quelques jours sur sa tête la couronne de Naples.^Le long camail, en forme de cloche, qui cache ses épaules et ses bras, peut être une mode napolitaine du temps, car les colliers et collerettes qui le décorent sont assez dans le goût italien. On peut y voir aussi une allusion à l'ordre de la Corde- lière, qu'Anne de Bretagne avait institué, d'après Philippe de Commines. Elles se plaisait. à faire por- ter aux dames de sa cour une cordelière, en souve- nir des liens dont Jésus-Christ fut garotté à l'époque de sa Passion. Les pieds sont rapprochés, comme dans la gravure précédente, et l'un paraît un peu plus court que l'autre. Reste à savoir pourquoi la reine Anne a la bouche si grande, ouverte : Peut-étfe chante-t-elle des antiennes au pape, peut-être chante- t-elle pouille à son mari.

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HENRY CORNEILLE AGRIPPA
  • №: 73

Voici une personnification nouvelle du charlata- nisme qui présidait alors à Texercice de la médecine. Henry G)tyral, médecin de cour et camarade de Rabelais, que nous avons vu figurer aux^planches Lxi et Lxv, est encore sur la sellette. Ses longs épe- rons annoncent sa fortune, ainsi que la haute canne qu'il traîne avec un peu d'insouciance. Dans la poche de son grand tablier d'apothicaire on voit un flacon d'élixir * qu'il porte à quelque malade. Son bonnet à visière est panaché de plumes sur deux points différents. Une lèvre inférieure, peut-être bien sa langue, d'une longueur démesurée, supporte à son extrémité Tibis sacré, qui préside aux sciences médicales. C'est un emblème de la loquacité sa- vante qui règne dans les consultations de la Faculté. Des manches galonnées, des gants fourrés, des bottes à retroussis placées dans des pantoufles à éperons, complètent le costume du personnage. Rabelais respecte la médecine mieux que Molière,, et malgré son scepticisme, ne peut se défendre de certains égards pour ses confrères de robe.

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UN CHARLATAN — UN JONGLEUR
  • №: 74

Nous ne voyons pas la nécessité d'appliquer à Henry Q)rneille Agrippa cette nouvelle caricature. Elle ne renferme aucun détail qui se rapporte clai- rement à la médecine, et il paraît ^lus simple de prendre ce fantoche pour un de ces jongleurs qui couraient les villes pour monjtrer la diablerie à la foule. Un grand drôle, vêtu d'une espèce de sac qui dessine ses formes ventrues» fait le gros dos, à tel point qu'il peut passer pour bossu. Son nez, pro- longé en trompe d'éléphant et percé de trous, af- fecte la forme d'une espèce de clarinette. Il s'essaie à jouer de son nez avec beaucoup d'attention. Une épée, attachée à son côté par une courroie, embellit son costume un peu sommaire. Le sac qui le couvre est bordé d'hermine au point où la tête en émerge. Mais ce qui s'explique dif&cilement, ce sont trois plumes d'oiseau de paradis qu'il porte sur la nuque» et une grosse branche d'arbre qui s'élève de son dos et se divise en rameaux verdoyants. Peut- être faut-il voir là une allusion à Torigifl^ grossière de certaines généalogies.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 75.jpg
JULES II
  • №: 75

Certes, il est impossible de ne .pas reconnaître, dans ce majestueux personnage, le chef de l'Eglise Romaine, ^— et partant le pape Jules IL Sa coiffure à aigrette rappelle la tiare; les galons dont elle est ornée ont un faux air de la triple couronne. La mine de Jules est rébarbative ; sa lèvre inférieure, qui va rejoindre son nez, ne dit rien de bon. Quant , à ce maître nez, c'est l'emblème naturel de la puis- sance virile du personnage et du bon usage qu'il • sait en faire. La longue robe qui Tenveloppe, et qui dissimule entièrement ses bras, porte en sautoir un gros rosaire formé d'œufs, allusion directe au ca- rême, principal appui de son gouvernement. Le . pape lève le pied pour chausser une mule d'une dimension extraordinaire, qui lui est présentée par une petite figure à tête d'oiseau, coiffée de panaches extravagants, plus grands qu'elle. Ces panaches» formés de plumes d'oiseau de paradis, indiqueollfl dignité de la marionnette, qui nous paraît sjrop^h- ser la sujétion qu'acceptaient alors les rois de la terre vis à vis du pontife romain.

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JULES II. — UN BALAYEUR
  • №: 76

En vérité, sans les commentateurs, nous n'aurions jamais songé à voir dans ce balayeur « esventé » le pape auquel nous revenons si souvent. Ils donnent à Fappui de leur opinion les trois champî- gnons qui poussant à gauche de la gravure et qui seraient dçs chapetux de cardinal. Ils citent en outre les paroles de Julos II dans les Fanfrdudies antidotées : c Je sens le fond dt ma mitre si froid, qu'autour me m#ffond h ceci^aa.... » Cela ne nous satisfait pis beaucoup. Dafis ce grand drôle, fièrement campé^ aux genoux cagpeux, à la jupe volante, dont la figure est d'un desçiû. très- remarquable , — dans ce personnage aux allures populaires, qui se drape dans un manteau bMCpané, décoré d'un tr à cheval, et qui presse sur sa poitrine un long biiiai, -^ pourquoi ne pas voir Rabelais lui-même, nettoyant fe sol des « gents doro^ftai^ avaleurs de frimars, cerveaulx à bourlet, grabiloirs de corre^itions? « — Arrière, mastins, hors^ dil U quarrièrsi! Hors de mon soleil, canaille, au (fiajt^l Voyez-cl le baston que Diogènes par testament Qf" donna être près lui posé après sa mort, pour obiKer et c^rener Its larves bustuaires et mastins eefèân» k ques. Pourtant, arrière, cagotsi Aux ouailles, mas-> ^ tins! Hors d'icy, caphardsl... »

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JEAN DES ENTOMMEURES
  • №: 77

Ce compère délibéré, masqué jusqu'aux dents, dont le masque ne laisse passer que le nez en trèfle, peut très-pertinemment représenter frère Jean, le glorieux abbé de Thélème, allant en guerre contre les paillardes andouilles. Son équipage est plus reli- gieux que guerrier; il porte une mosette et un capu- chon qui s'adapte au masque qui le cache. D'tine main, il brandit un poignard et de l'autre un sabre à dents de scie. Cet accoutrement singulier et Tan- neau à détente par oti passe le nez du personnage lui donnent Tair d'un oiseau de proie. L'ensemble du masque a d'ailleurs une allure de pot, symbole d'ivrognerie. Un feston pend en guirlande autour de sa cuisse gauche, et une braguette proéminente, ter- minée en pointe, témoigne du cynisme du person- nage, si fort ému par les servantes des Papimanes. Nous ne ferons pas remonter ces allusions un peu brutales au cardinal du Bellay. Frère Jean dit très- nettement au chapitre xxxix du livre l^ : « Je hays plus que poison ung homme qui fuist, quand il faut jouer des cousteaulx. »

< Frère Jean, dit Rabelais , abbattoyt à coups de bedaine les andouilles menues comme mousches. »

{Liv. IV, chap. xii.)

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CARÊME-PRENANT
  • №: 78

Il est certain que cette gravure offre de grandes analogies avec la figure ventme de la planche II. C'est à peu près la même cuirasse, mais elle dégage mieux le visage et les avantages naturels du héros. La tête du personnage, merveilleusement originale, s'incarne en un pot fêlé qui en suit les contours et laisse saillir l'ensemble des traits. Sur le crâne chauve, des herbes étiolées poussent naturellement, et sont la principale allusion de Timage aux temps d'abstinence. Un pourpoint festonné, orné de lon- gues manches à découpures, couvre le buste de Carême-Prenant, qui semble montrer à quel point l'Eglise s'égare en cherchant à vaincre les appétits charnels par le maigre. Il brandit en effet un pied de bouc, pendant que des témoignages incontesta- bles dé virilité appuient l'énergie de ce geste. La baguette de tambour qu'il tient.de la main droite paraît destinée à frapper sur son ventre ; rebondi comme une grosse caisse et terminé en hausse-col. Est-ce un symbole de l'irritation et de l'échauffé-, ment logiques produits par un jeûne de quarante jours ?

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ULRIC GALLET — JULES II
  • №: 79

En nommant Ulric Gâllet, homme de confiance de Grandgousier et son ambassadeur chez Picro- chole, nous usons de politesse envers les commen- tateurs, qui voient dans cette gravure cet honnête financier, versant dans un sac l'argent destiné à rem- bourser les frais de la guerre des fouaces. [Liv. /•', chap, XXX et xxxii.) « Voilà, dit Gallet, sept cent « mille et trois phylippus que je livre. »

Il nous semble qu'on fait beaucoup d'honneur à Gallet, et le grand chapeau du personnage, ainsi que le camail qui le pare, peuvent lui faire assigner un plus haut rang. Sa face bestiale et bourrue, la longue épée qu'il porte en verrouil, ses larges gants fourrés font plutôt reconnaître lé pontife belli- queux sur lequel Rabelais aime à s'égayer. Il re- cueille et collecte dans un sac immense l'argent de la chrétienté, représenté par un déluge de pièces à différentes effigies. Il est chaussé d'ailleurs d'espèces de sandales, qui paraissent appartenir au serviteur des serviteurs de Dieu.

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L OISEAU GOU^MANDEUR DB L ILE SONNANTE
  • №: 80

Les caractères de cette bizarre figure sont com- plexes, et si nous adoptons le titre que lui donnent les commentateurs, c'est faute de trouver mieux. Un personnage à long bec d'oiseau, coiffé d*un ca- puchon en forme de cornet, dont la partie posté- rieure simule des ailes de surplis ou d'abeille, porte une sorte de crosse ou de crochet à manche orne- mente, une épée et une torche incendiaire. Il est vêtu d'un pourpoint lacé et de guêtres; ses mains sont couvertes de gants. Il marche, en rejetant la torche en arrière, de façon à n*étrepas incommodé de sa fumée. Son capuchon est surmonté de deux plu- mes de commandement , et sa virilité indiscrète s^é- taie avec impunités Nous verrions volontiers dans cette gravure un reître, un soldat quelconque de Pantagruel, se préparant à la bataille. Le nez en bec d'oiseau paraît extravagant, d'autant qu'il est percé de trous comme une clarinette. Peut-être a-t-on voulu exprimer la sagacité d'un capitaine qui sent les ennemis de loin.

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l'église
  • №: 81

L'abondance de biens où cette figure est plongée la fait d*abord reconnaître pour un personnage ec- clésiastique. Malgré ses allures d'oiseau et Tavis des commentateurs, on ne peut méconnaître un corps je limace aux longues antennes terminées par des boules, chargé sur le dos d'une coquille en spirale, surmontée d'une tête humaine à cornes de bouc. Il est vrai que la limace est enrichie de deux yeux placés sous les antennes et de deux pattes de griffons. Elle porte en bandoulière une longue épée; à la partie inférieure de son corps ' s'ajustent des cuisses et des jambes humaines bot- tées. On peut voir dans cette figure allégorique une allusion toute naturelle aux lents et patients empiétements de l'Eglise, qui s'empare à bras ou- verts des biens de ce monde, et qui voit de loin, comme le mollusque dont elle emprunte la forme. D'abondant, la coquille ou la maison dans laquelle elle se retire, et qui protège ses envahissements , est ornée de Tempreinte monacale, clairement désignée par la figure de Priape qui la couronne.

a N'ayez paour que vin et vivres icy fayllent, car quand le ciel seroyt d^airain et la terre de fer, en- core vivres ne nous fauldroyent »

(Liv. Vj chap. vi.)

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JULES II
  • №: 82

Le bonnet de ce personnage est assez caractéristi- que pour désigner le successeur de saint Pierre, le belliqueux Jules 11, dans le plein exercice de ses ^p- V petits guerriers. En dépit de sa mitre aux longs pen- dentifs, surmontée d'une banderoUe qui flotte au vent, Ce pape à figure de singe est aux aguets, at- tendant Tennemi. Sa main droite brandit un glaive pointu dont il attend le moment de faire usage ; sa main gauche tient un énorme soufflet qui jette des flammes, et derrière lequel la jambe gauche est dissimulée. L'autre jambe est assez bizarrement plongée dans un pot qu'elle traverse, et au-delà du- quel passe un pied qui porte cinq griffes. Ces grif- fes sentent évidemment le fagot. Jamais la dualité du caractère de Jules II n'a été plus clairement exprimée. La mitre et le camail appartiennent ab- solument à l'état ecclésiastique; la pose, legeste^ les armes sont d'un général d'armée. On reconnaît fa- cilement le pontife qui porta la guerre chez la plu- part des peuples de l'Europe.

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CAREME-PRENANT
  • №: 83

Cette espèce de bouc extraordinaire, enfoncé dans un Casque qui Thâbille de là ceinture aux pieds, et péchant à la ligne un dauphin, est une personnifi- cation du personnage complexe de Carême- Prenant. Il porte une longue barbe ; une mèche de sa crinière se continue par un triple panache d'une riche orne- mentation. La partie supérieure du casque est trouée, pour laisser passer le buste qui est fortement cui- rassé dans le dos. Par l'ouverture naturelle de Tar- met on aperçoit un des pieds qui figure une serre d'oiseau de proie; Tautre, semblable, s'appuie à terre. Le casque porte en guise de mentonnière une riche passementerie. Quant au dauphin, il appartient à la famille des animaux fantastiques et imaginaires. Aussi peut-on rapprocher de la gravure ce^exte de Rabelais : a Peschoyt en Tair, dit-il, et prenoyt des écrevisses décumanes. »

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l'ante-christ
  • №: 84

Un bébé criard, coiffé d*un bonnet à trois pana- ches, est enveloppé d'un maillot à bandelettes qui le ceignent de tours multipliés comme une momie d'Egypte. Un bras sort du maillot et tient un sceptre surmonté d'un oiseau de nuit. De nombreux oisillons voltigent autour du hibou dont la conte- nance est placide. Le maillot de l'enfant se termine par une patte énorme qui pourrait bien renfermer des pieds fourchus. Ce bambin porte en bandoulière un anneau auquel sont suspendus un pied de bouc et un gland que les commentateurs donnent pour une gourde. La position du personnage est oblique; il est calé par deux fourches plantées dans un tertre voisin. Il y a certainement dans ce dessin des intentions satiriques. On peut y voir TAnte-christ, dont, au moyen, âge^ on attendait sérieusement la venue.

« L'Antéchrist, dit Rabelais, est déjà né, ce m*a- < t'on dist. Vray est qu'il ne faict encore qu'égrati- « gner sa nourrice et ses gouvernantes. »

{lÀv. III^ chap. xxyi.)

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CARÊME-PRENANT
  • №: 85

Il faut bien l'avouer ; ce nom de Carême- Prenant est une ressource dans les cas difficiles, et Rabelais a tellement multiplié les attributions de ce person- nage qu^on trouve toujours chaussure à son pied. Une tête-ventre-poitrine, dans sa vaste ampleur, remplace ces trois parties du corps humain; elle est surmontée d'une forêt de plumes en forme de toupet; les bras du fantoche émergent à la place que devraient occuper ses oreilles, et soutiennent, à droite et à gauche, deux tronipes dont il a Tair de jouer comme de flûtes tibicines. Au-dessous du menton, uiiç sorte de robinet semble l'ouverture naturelle de l'outre formée par cette tête mons- trueuse. On peut également y voir un attribut viril, car il repose sur une braguette étrangement dessinée. Au-dessous de ce phénomène paraissent deux cuisses et deux jambes chaussées de pantoufles à longs éperons de chevalier. L'allégorie est assez embarassante , à moins qu'on ne se contente de la forme évidente d'œuf qu'a la tête du personnage.

« A la mort de Quaresme, dit Rabelais, sera sé- c dition horrible entre les moines et les œufs. » Ce qui est une façon de dire qu'ils n'en voudront plus, pour en avoir trop mangé.

{PrognosticationSy chap. m.)

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PANURGE — LE CARDINAL DE LORRAINE, INQUISITEUR
  • №: 86

Nous renouvelons ici nos protestations, et ren- dons au cardinal de Lorraine ce qui ne peut être à Panurge. Panurge ne saurait être inquisiteur, et si Rabelais l'eût voulu représenter dans cette gravure, les colombes qui s'agitent dans son aumôniàre se fussent changées en poules, écume des marmites des noces de Gamache. Au reste, le personnage est trop édenté pour être le boufifon de Pantagruel- Sous un vaste chapeau de cardinal, à aigrette, se cache une figure énorme, — un œil fermé, il'autre à Taffût, signe de traîtrise et d'espionnage. Une robe, un pourpoint serré d'une ceinture couvrent cet Argus qui ne dort que d'un œil. Sa main gau- che, parée d'un gant fourré, tient un bâton de pasteur; sa main droite nue serre un glaive. Dans un vaste sac, pendu à sa ceinture et orné d'un frag- ment de rosaire, deux oiseaux sont prisonniers; — c'est probablement l'inquisition qu'on a voulu re- présenter.

Les languettes extraordinaires dont ses souliers sont ornés peuvent témoigner de sa dignité ; nous ne leur trouvons pas de signification plus exacte. Nous verrons volontiers dans cette caricature le cardinal de Lorraine assassinant, emprisonnant les calvinistes, et s'emparant pieusement de leurs biens.

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l'inquisition
  • №: 87

Après le ministre, la souveraine; après l'inquisi- teur, l'inquisition. Pour suivre l'allégorie de Rabe- lais, nous voici tout à fait dans le monde des oi- seaux de Tîle Sonnante. Un monstre à bec camus, à dos de crabe, soutenu par deux maigres pattes de homard, est à peu près accroupi. De sa poitrine pendent cinq ou six longues ipamelles ridées aux- quelles se suspendent des oies avides. Le dos de cette a£freuse créature est enveloppé d'une sorte de manteau ou de cape serrée, qui se termine en dra- peau flottant et se noue au derrière et sur le front. Pour mettre le comble à ces étrangetés, au point culminant de Téchine du personnage s'élève un perchoir, un bâton de Jacob, sur lequel se tiennent gravement trois oiseaux de Paradis. Sur l'extrémité recourbée en spirale de la patte droite de la bête, une linotte coi£fée ou un faucon encapuchonné, à deux aigrettes, est gravement perché. La figure est d'ailleurs placée sur une espèce de promontoire, au- devant duquel s'étend un lac, probablement de sang, ^ — ce qui est une pure calomnie, l'inquisition se con- tentant de brûler les gens.

Tout cela s'explique. Cette béte de l'Apocalypse est le fondement naturel, le. perchoir de la puissance des Papegauts, et les oies qui sucent son lait et ses maximes représentent clairement les fidèles.

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JULES II
  • №: 88

La caricature est cette fois d'une grande simpli- cité. Le pape belliqueux que Rabelais poursuit sans relâche est représenté par un immense bonnet de nuit, porté par deux petites jambes chaussées de souliers pointus ornés de longs éperons de cheva- lier. Il faut remarquer que le soulier droit, à deux pointes, semble contenir un pied fourchu, et que le soulier gauche, à la poulaine, soutient une coupe.

Ce bonnet de nuit, dont le bord inférieur est re- troussé^ parait coiffé de sa propre extrémité entourée d'un galon. Un trou figure Toreille d'oti s'élève une plume d'oiseau de Paradis. Une bouche immense et mince» boudeuse et méfiante, s'ouvre dans le bonnet; elle est surmontée d'un nez prodigieux, retombant en forme de trompe, et saignant dans la coupe que lui présente le pied. Jules II cependant n'ftait pas poltron. Sa qualité est suffisamment in- diquée par un petit moulin à vent, formé des clés de saint Pierre, qu'il fait tourner autour d'une ba- guette placée dans sa main gauche. Sa main droite tient un couteau dans sa gaîne. Le pape est au repos sans doute.

Les commentateurs voient dans son saignement de nez « de la roupie tombant dans une lampe. » Cela nous paraît bien mystérieux.

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LE PAPIHANE
  • №: 89

— L'avez- VOUS vu, bonnes gens? crient les Papî- mânes à Pantagruel et à ses gens débarquant dans leur île. — Et Panurge répondant qu'il Ta vu, les naturels du pays lui baisent les pieds, sans qu'il puisse s'en défendre. « — Mais, dit Pantagruel, s'il venoit lui-même dans vostre isle, vous ne sçau- riez faire dadvantage? — Si ferions, si, respondi- rent-ils. Nous lui baiserions le cul sans feuilles, et les couilles pareillement. »

Nous n'avons pas besoin de dire, qu'il s'agit du Saint Père. Notre gravure représente un Papimane dans son acte d'adoration. Un mannequin, supporté par un pieu, coiffé de la mitre, porte la robe et l'étole et fait une figure assez narquoise. Le bon- homme, incliné devant l'idole, se soulève sur la pointe des pieds et fait passer un rosaire entre ses doigts, r- Son costume, religieux au-dessus de la ceinture, finit assez mondainement par une jupe courte à festons ; sa barbe en pointe se dirige vers le saint. Une sorte de fourrure à longs poils gar- nit le profil de son vêtement.

« Par Homenas, dit Rabelais, nous feut montré l'archétype d'ung pape , imaige paincte assez a mal. »

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L EGLISE ROMAINE
  • №: 90

Une grande dame^ill en fût. Echevelée, les yeux au ciel, dans unf fxtasç comparable à celle de S**-Thérèse'pçrçée des flèches de rEsprit-Saint,.une femme est debout, immobile. Habillée d'ailleurs avec recherche, elle porte la chemisette, le tablier, la double rabe, les manchettes et les gants, la cein- ture et U collerette « goldronnée. » A son cou est suspendu un médaillon ou un reliquaire ; une au- mônière, attachée à sa ceinture, tombe auprès d'une sorte de couteau, assez singulièrement accroché à sa jupe. Cefti^ bûooe personne a sur l'épaule gauche un bouquel dl'épis de blés; un oiseau enfroqué et deux poi^SQn^ à pattes montent, la garde autQur d'elle, et figurent* «ans doute le bon approvisionne- ment de Qon gurde-manger. Ces hallebardiers d'un nouveau genrç, que nous avons déjà rencontrés, sont un témoignage de %% dignité.

« Tenez cela de moy, dit maistre Editue, que « pour manger les vivres de Tisle Sonnante, il faut « se lever matin. »

Cest l'allégorie inverse du tonneau des Danaïdes: la multiplication des pains et des poissons.

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ANARCHB
  • №: 91

A voir Tenthousiasme avec lequel ce gros person- nage entonna un pot de vin dans son large gosier, personne ne s'avisera de discuter la personnalité d'Anarche, roi des Dipsodes ou des altérés. Sa di- gnité souveraine est suffisamment indiquée par sa casquette à aigrette, ornée à l'arrière de fleurons dé- coupés, et par son riche costume. Un superbe pour- point rayé, à manches volantes brodées et feston nées, une robe fourrée d'hermine, à brandebourgs, des pan- toufles à fortes semelles le parent magnifiquement. De la jnain gauche il tient un poignard à lame den- telée. — S'il boit, c'est que c'est l'heure de la trêve conclue, pendant le combat de Pantagruel et de Loup-Garou.

a A doncques, dit Rabelais, se retirent touts les géants, avecques leur roy, là auprès, et Panurge et ses compagnons avecques eux, et Panurgé leur dist :

a Je renie bieu, compaignons, nous ne faisons point la guerre, donnez-nous à repaistre avecques vous, cependant que nos maîtres s'entrebattent. A quoi volontiers le roy et les géants consentirent, et les firent bancqueter avec eux. »

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LA DAME DE PAPIMANIE
  • №: 92

Cette servante d'auberge que les commentateurs trouvent « &velte et gracieuse, » par antiphrase pro- bablement, paraît être la charge de ces charmaiit€ll filles, employées au service de la table par les dé- vots Papimanes. Son costume en effet semble en- prunté à la fois

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CAREME-PRENANT
  • №: 93

Cette abondance de poissons ne peut guère appar- tenir qu'à la sainte quarantaine, et cette figure, lune des moins compliquées des Songes drolatiques^ est une des mieux réussies et des plus originales. Ca- rême-Prenant court sur de larges pattes de sarcelle,

en proie à une indigestion de maigre à laquelle il veut échapper. Sa tête renversée, qui perd son bon- net à aigrette, est celle d'un poisson et ouvre une gueule immense. Il en surgit un autre poisson qui lui-même en dégorge un plus petit. Ce n'est proba- blement pas le premier qui sort de ce gouffre, car Carême en tient un quatrième à plein poing. Sa main gauche, armée d'une longue scie, a recours à un re- mède violent. Il se fend le ventre, d'où s'échappent des Rots de poissons en assez bon état. Le person- nage est d'ailleurs vêtu d'une chemise de matelot décolletée, à large col renversé j une braguette , at- tachée à son caleçon, a des proéminences qui déno- tent un échauffement produit par sa nourriture or- thodoxe. C'est bien décidément le ce Gonfalonierdes Ichthyophages, » ou, en langage moderne, le « capi- taine des mangeurs de poissons. »

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JULES II — ANARCHE
  • №: 94

Les commentateurs voient dans ce cbev^dior en pe- tite tenue le pape Jules II, mais ne peuvent appuyer leur opinion que sur son gant pontifical et son large manteau qui peut passer pour une chappe abbatiale. Il porte sous ce yétement une blouse ou un surplis, et tient de la main droite un vase, en forme de tête humaine, qui semble être un brûle-parfums, — al- lusion à Tencens qui fume devant l'autel. La Xgu du personnage est renfermée dans un casque qui laisse voir un œil perçant et passer un long bec d'oie. Le cimier qui le surmonte est une branche sèche de houx épineux.

On peut assurément voir dans cette figure la réu- nion figurée des deux puissances militaire et ecclé- siastique, mais avec un peu d'imagination, on lui trouverait bien d'autres significations. J'entre- prendrais volontiers de défendre celle qui ferait de. ce fantoche le roi Anarche, créé vendeur de sauce verte, et marié par Panurge après sa défaite. Il est permis de penser qu'il avait conservé dans son mal- heur une partie de sa garde-robe. Le brûle- parfums serait un réceptacle de sauce, et quant au panache du casque, le mariage de l'infortuné avec une vieille lanternière l'expliquerait suffisamment.

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JULES II
  • №: 95

Les clés de saint Pierre, que ce p^sonnage porte en équilibre et auxquelles il fait faire le moulinet, annoncent assez sa haute dignité ecclésiastique. Jules lia caché ses appétits violents sous une tête de mouton (?) qui le masque et qui donne à sa physionomie entière une douceur inaccoutumée. Les deux pavillons qui surmontent cette étrange coiffure symbolisent sa double puissance.

Le pape a Tair de tourner le dos au public, si l'on en juge par la position de ses pieds; sa main droite est appuyée sur un bouclier à tête de Méduse ; de l'autre il brandit un couteau recourbé. Sur sa robe est figurée une paire de ciseaux, et pour compléter Tallégorie, dans la ceinture du bonhomme un diable 4 queue de poisson se démène et crie comme un brûlé.

Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures pour voir là Jules II dans l'exercice des fonctions qui faisaient du monde catholique, au, moyen âge — et au point de vuemoral, — une grande chapelle Sixtine. Les ciseaux et le couteau Tindiquent suffisamment. Le pape fait des moines et des moinesses ; il peuple les cloîtres ; il châtre le monde , il oppose aux appé- tits charnels le bouclier de la règle, et le diable a beau tempêter, il ne sera diable désormais que de la tête à la ceinture.

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LE JEUNE GARGANTUA — UN MUSICIEN
  • №: 96

C'est par pure condescendance pour les commen- tateurs que nous verrons dans ce fantoche « le jeune babouin Gargantua, apprenant à pincer du luth, et identifié avec son instrument pour exprimer la grande application qu'il y donnait, d

Il nous semble que c'est aller chercher Gargantua bien loin. Il est plus simple de voir dans cette guitare faite homme, un des musiciens qui figurent dans de nombreux passages du Pantagruel, et no- tamment au 4" livre, — réunis en un jardin secret, soùs une belle feuillade, autour d'un rempart de flacons, jambons, pastés, et près de cailles coifTées.

Le musicien que représente la gravure semble être illustre, si nous en jugeons par son turban à longues aigrettes, par ses bottes à la poulaine et certains ornements de son costume. Toutefois il est dans le malheur. Une figure de Priape à longues cornes, s'élevant d'une toufiFe d'herbes, racle les cordes de la guitare avec un roseau, et en tire des sons faux qui ont l'air de faire fuir le musicien. - Une longue bavette attachée à son menton semble d'ailleurs le mettre au rang des « véroles très-pré- tieulx » que Rabelais avait en si grande considéra- tion. Les détails de la figure confirment cette opi- nion.

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UN MOINE MOINANT
  • №: 97

Cette figure gourmande pourrait certainement être celle de frère Jean, si quelque attribut belliqueux ou galant en anoblissait l'allure. N'est-ce qu'une simple personnification de la gourmandise mona- cale? Un frère, vêtu de la robe et du froc, boutonné jusqu'au menton, avec un gland qui lui pend assez étrangement dans le dos, est grimpé sur un buisson, auprès d'une haute et vaste marmite à deux anses. Il en soulève le couvercle et y trempe une cuiller à pot dont il lèche le manche avec béatitude. Les bras du personnage sont nus. Je ne puis m'expli- quer pourquoi le vase paraît fuir par une fêlure, à moins que ce ne soit une allusion à l'hérésie, qui portait les premiers coups à la marmite ecclésiasti- que.

« Est-ce, dit Rizothome, quelque vertu latnte et propriété spécifique absconse dedans les marmites, qui les moines y attire comme l'aimant attire le fer?.. »

Et plus loin :

« Les moines ne mangent mie pour vivre, vivant pour manger. »

Il pardt que Molière aussi a pillé maître François.

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LE FRÈRE QUÊTEUR
  • №: 98

Il est assez difficile de donner une signification précise à ce bonhomme à. vaste. carrure, vêtu d'une espèce de sac, ou plutôt formant lui-même un sac ou une vaste aumônière, bouclée sur la poitrine, et à laqudk il ne manque fîen, pas même les cour- roies destinées à rattachof à la ceinture et qui s'élèvent sur le dos. La figure dvt personnage dis- parait tout â fait sous un vaste chapeau de religieux, dont la partie supérieure a la forme d'une gourde. Du sac sortent deux petites jambes chaussées de savates à pointe arrière, et deux bras, l'un tenant un rosaire et Tautre une crosse abbatiale. La quête ne pouvait être mieux représentée, ni Taumônière à recueillir les dons des fidèles, dans laquelle les com- mentateurs voient un bât.

C'est là un de ces a petits quêtmrs voustez, petits prescheurs bottés, petits confesseurs^ crottés » dont parle Epistemon dans sa Critique du carême. (LîV. Vy chap, XXIX.)

Rabelais leur reproche ailleurs leur ignorance :

a Arrivants, à la cassine, de loing il apperceut Tap- pecoue qui retournoit de queste, et leur dist en vers macaroniques :

« Hic estdepatria^ natus de gente belistra...

« Voyez cet homme du pays, ce fils de bélître...

(LzV. /y, chap. xiii.)

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l'oiseau gourmandeur de l'île sonnante
  • №: 99

Un long manteau traînant et un bonnet carré à la Vénitienne peuvent faire reconnaître un chevalier de Malte dans le personnage à figure maussade qui semble s'avancer vers nous. Les commentateurs .assurent qu'il danse; il n'»y a pas de quoi. Il est assez bizarrement vêtu sous son manteau d'un large collier, sorte de ceinture raide qui supporte une au- manière gonflée. L'ordre de Malte était riche en effet. On trouve sur ce collier une petite décora- tion en fer à cheval, que nous avons déjà signa- lée dans quelques gravures. Notre chevalier est fort empêché; il tient d'uqe main un long parche- min, sans doute la règle de l'ordre qui lui impose la chasteté et le célibat, et de l'autre une poignée de verges dont il a l'air de vouloir fustiger une partie de lui-même, qui est dans un état déplorable.

« — Qui sont, demanda Panurge, ceux-ci, et com- ment les nommer? — Ils sont, respondit Editue, métis. Nous les appelons Gourmandeurs, et ont grand nombre de riches Gourmanderies en vostre monde. — Où sont, demandai-je, les femelles? — Ils n'en ont poinct, respondit-il. — Comment donc, inféra Panurge, sont-ils ainsi crouste-levés et touts mangés de grosse vérole? — Elle est, dît-il, propre à cette espèce d'oiseaulx, é^ cause de la marine qu'ils hantent quelquefois. »

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PICROCHOLE — LE FRÈRE QUETEUR
  • №: 100

Les commentateurs voient dans cette figure le pauvre cholérique Picrochole, roi de Lerné, fu- yant devant Pantagruel qui vient de le vaincre. Il est couvert d'une méchante souquenille, en forme de sac y dont les meuniers l'ont vêtu, après l'avoir roué de coups, à la suite de l'afEaire des fouaces.... .

En rapprochant cette gravure de la planche XCVIII, une explication plus naturelle vient ^ l'es- prit. C'est, dans les deux cas, une immense aumo- nière qui forme le trait principal du personnage ; elle est d'abord fermée et bouclée, ensuite ouverte et défaite.

Ne peut-on voir dans ce changement le second acte d*une même pièce, la transformation de l'Église, dès que Taumonière est remplie; d'abord humble et suppliante, pour réunir les aumônes de la chrétienté ; — puis, tout à- coup, ouvrant son sac, soudoyant des reîtres, achetant des alliés, payant des armées, et portant par toute l'Europe le fer et le feu?

Il ne serait pas diflticile, en rappelant quelques incidents historiques, de voir dans ces deux figures le pape Jules II, à deux époques de son règne.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 101.jpg
LE dTabLE de PAPEFIGUIÈRE — - UN MUSICIEN
  • №: 101

Faut-il en croire les commentateurs et voir dans cette figure ce « diableteau de cour »'qui fut si galamment attrapé deux fois par le laboureur de Papefiguière, et mis en déroute par sa femme — un peu trop déchirée? Il faut pour cela beaucoup de bonne volonté. On ne fait pas de diable sans griffes ni cornes. Cet effréné joueur de violon est plutôt un de ces musiciens fantaisistes, réunis en petit comité, tel que celui de la planche XCVI. Les deux fantoches sont de la même famille, non seulement au point de vue des avantages naturels qu'ils exhibent avec complaisance, mais par la confusion établie entre leur individualité et l'instrument dont ils jouent. En effet, les cordes du violon sont tendues entre les mâchoires du virtuose, écartées d'une manière anor- male par la configuration singulière de la bouche. Il porte des gants fourrés et promène sur ces cor- des un archet qu'il conduit délicatement de la main droite; la main gauche^n appelle aux auditeurs. La tête tient du singe, du chat et du chieiî; elle est ornée de longues oreilles et de trois plumes élé- gantes. Le buste est serré dans un pourpoint bou- tonné, couvert d'un col à pointes; les cuisses se transforment en queues de crocodile qui finissent en spirale linéaire, avec une houppe à leur extrémité.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 102.jpg
TBVOT LE FRANC-TÀUPIN
  • №: 102

On fait beaucoup d'honneur à Tevot peut-être, en appliquant cette figure à sa mince individualité. J'y verrais de préférence un des bas-reliefs du temple de Bacbuc» U est certain, dans tous les cas, qu'il s'agit d'un ivrogne, personnifié par une bouteille inclinée qui répand des flots de purée septembrale. Le personnage court; un de ses pieds, nu, plonge dans le Act qui s^échappe du vase; l'autre est chaussé d'une bottine fourrée dont la pointe re- courbée porte un éperon. La t4te de l'ivrogne, pen- chée sur le ventre de ia bouteille, disparaît dans une large coupe qu'il tient de la main droite et dont le fond extérieur représente une tête de Méduse. ï5t la main gauche il brandit un pot suspendu à une longue perche en guise de drapeau. Ainsi Rabelais fait crier à Tevot allant en guerre : « Sauve, Tevot, le pot au vin I » Et Tevot, en effet, l'abrite de son mieux, mais au détriment de son contenu.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 103.jpg
BRINGUENARILLES — CHARLES-QUINT
  • №: 103

Un large pâté fumant, une forteresse, un sac, — sous cet aspect complexe et peu défini se prét, sente une figure plus originale que vivante. Un vaste cylindre reposant à terre porte sur un de ses fiancs des traits humains et notamment une bouche largement échancrée. Au-dessous, au prolongement du menton, sur le sol, un robinet de forme galante, un coin du sac, une ouverture bizarre laissent échapper un ruisseau qui s'enfuit en serpentant. Des parois du cylindre, effondrées ça et là, sortent des têtes d'oiseaux et d'animaux peuMistincts, ainsi que deux maigres bras, dont l'un brandit un large coutelas, tandis que l'autre tient un chapeau pointu à vastes bords. Ajoutons qu'à la cime du couver- cle de ce pâté singulier^ un second couteau est fiché dans une ouverture qui Uisse échapper une fumée nourrissante. J'aurais fait de cette gravure un emblème gastronomique. Les commentateurs y voient Charles-Quint retiré dans la cuisine des moines de l'abbaye de saint Just. Les coqs qui le dévorent sont les Français dont les succès le dé- goûtèrent de l'Empire. Enfin le fieuve qui s'écoule témoigne que ses grands projets s'en allèrent à vau- l'eau. — La confiance est une belle chose.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 104.jpg
DINDENAUT — LB SEIGNBUR DE HUMEVBSNE
  • №: 104

Il est certain que Dindenaut est peu poli et qu'il a les premiers torts dans sa querelle avec Panurge. On n'appelle pas les^ens « cocus » sans les connaî- tre, surto}it lorsqu'ils ne sont pas mariés. Toutefois, Panurge^ se venge un peu trop, et Ton ne noie pas les gens pour si peu. Si nous rappelons cette his- toire, c'est pour protester contre Tinterprétation des commentateurs qui veulent voir dans cette figure le maUteureux marchand de moutons* Rien n'autorise cette explication; Tépée et les éperons de chevalier que porte le personnage nous la font surtout rejeter. S'il faut tout expliquer, je verrai plutôt dans ce bon- homme le seigneur de Humevesne, plaidant devant Pantagruel. Sa bosse énorme agrémentée de bmderies et le vaste sac qu'il porte à sa ceinture sont remplis sans doute des pièces de son procès, ou témoignent du poids moral d'une affaire semblable. La grue qui gobe les mouches bourdonnant autour de la cervelle du bonhomme représente les juges idiots qui pre- naient au sérieux les balivernes débitées par ce plaideur lunatique. Les larges oreilles et la êet^ abrutie du fantoche dénotent un ahurissement complet, et quant au geste de la main droite qui bouche le nez, le nom de ce seigneur bénévole est assez précis pour que nous n'insistions pas là- dessus. ^

Les Songes drolatiques de Pantagruel 105.jpg
LE PAPEGAUT
  • №: 105

Voici le chef de la chrétienté. Du sein d'une source dont les ondes ont des frémissements circu- igires s'élève un arbuste puissant qui supporte une étrange figure, moitié homme, moitié cloche. La tête s'unit immédiatement au ventre et semble moulée dans le fond de cloche qui lui sert der bonnet. L'œil est celui d'un poisson, la bouche est large et dévo- rante. Ce fantoche ventru tiept de la main droite une longue clé qui se termine en fourche, symbole de l'enfer qui est un de ses moyens de gouverne- ment, ou simple râteau destiné à ramener vers Rome les aumônes de l'Europe catholique. L'indice de virilité exigé par la tiare est en vue ; le pied droit est chaussé de la mule sainte que le Papegaut offre aux baisers du monde. Sa main gauche, revêtue d'un bracelet et du gant épiscopal, lève deux doigts en signe de bénédiction.

Quant à la cloche, qui porte deux fois le mono- gramme d'Alcofr;bas Nasier, c'est l'attribut naturel du Saint Père, la voix de l'Eglise; elle est ornée d'un cordon à gland et porte écrit sur sa plus large circonférence un mot irrévérencieux : CORNA R. Est-ce une allusion à la corne de la mitre?

(( Ils tirent par chascun an de France en Rome, dit Rabelais, quatre cent mille ducats et dadvan- tage. »

Les Songes drolatiques de Pantagruel 106.jpg
CARʻB'PRENANT
  • №: 106

Carême, si Ton veat^ il semble que ce personnage rébarbatif porte un collier de cervelas, et ce n*est pas sans quelque effort que j^ vois un rosaire. Il est en outre bien gras pour avcùr jeune quarante jours. On peut supposer, il est vrai, que le bonhomme n'en est qu'au mercredi des cendres. Sa toque, ornée d'une magnifique plume de paon, a Tair d'un dia- dème; son nez est fait « comme un brodequin enté en écusson, -» et son oreille développée V comme une mitaine » s'accorde avec les descriptions de Rabelais. Carême tient d'une main une épée qui ressemble à une broche; de l'autre, il élève un ra- meau sans feuilles où sont enfilées trois pommes ou trois patenôtres. C'est dans cet équipage belli- queux qu'il soumet la chrétienté à ses lois. Il est vêtu de vêtements collants, et donne les preuves d'une virilité humble, mais monumentale. Chaussé de pantoufles à languettes, il s'avance d'un air déli- béré. Sa face lippue et. son œil austère sont pleins d'austérités.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 107.jpg
' LE PAPIMJNE
  • №: 107

Cet être hideux, bizarrement affublé, qui semble faire le grand écart sous sa longue douillette, doit être une personnification de l'hypocrisie/ Sa face repoussante manque absolument de nez; peut-être n'est-ce qu'un masque posé sur le visage. Le buste du personnage est enveloppé d'un pourpoint épais qui monte jusqu'au dessus de la tête et s'épanouit en cornet. Ce vétemeQt est percé de deux fentes par où passent les maigres bras du. Papimane , qui tient ses mains jointes comme s'il priait. Mais sur son habit, un poignard est en évidence, et un phallus énorme, relevé vers lui, est dissimulé par une braguette étroitement attachée à la ceinture. On reconnaît là ces a bonnes gens, confits en paroles et en révérences, prêts à mettre à feu et à sang les rois qui transgresseraient un iota des saintes décrétales. Habitués du reste à se faire servir par les filles pucelles du lieu, belles, je vous affie, saf- frettes, blondettes, doucettes et de bonne grâce. » Ce triple caractère dévot, féroce et galant est fort bien indiqué par la figure.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 108.jpg
JULES II
  • №: 108

Les énormes et saintes clés qui frappent les yeux, au premier aspect de cette gravure, prouvent évi- demment que nous avons affaire au chef de TEglise. L'une se termine en serre d'oiseau de proie ; Fautre finit par ua rossignol assez compliqué. Ce sont des maîtresses-clès, capables de crocheter les coffre-forts et les consciences, propres à dévaliser les familles et les royaumes* Que fait pouftant le saint homme qui les a abandonnées, et qui porte en guise de pour- point une amphor^ munie d'une anse et ceinte d'une épée en Inudoulière? Il a l'air fort affairé. Juché sur une cloison ou une porte brisée, il sem- ble vouloir la percer d'une vrille. Cherche-t-il à la raccommoda ou à la rompre davantage ? C'est la question. Ce qu^ y a de certain, c'est qu'il vomit sur son ouvrage des flots de bile et de vin. Son œil est plein d'angoisses. Il faut sans doute voir, dans cet étrange ouvrier, le pape Jules II, compromettant, par sa galanterie et son ivrognerie, les clôtures de l'Eglise et les clés divines qui lui sont confiées.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 109.jpg
L*0ISEAU GOURHANDEUR DE l'iLE SONNANTE. UN SOLDAT
  • №: 109

Cet archer se trouve placé dans une ]x>sition d'équilibre que Ton comprendrait difficilement, si Ton ne s'apercevait que l'extrémité de son arc touche la terre. Assis légèrement sur un escal^eau, il tend, avec ses pieds chaussés d'élégantes bottines, un arc puissant dont ses mains retiennent la corde. Sa flè- che semble descendre. Il est coiffé d'un casque rond à visière levée, qui porte pour cimier sept plumes magnifiques. Le 'buste disparaît sous une cara- pace de tortue qui est bien le plus singulier man- teau qu'on puisse imaginer. La figure de Tarcher ne montre qu'une partie de son j)rofil, orné de barbe et de moustaches.

On peut sans doute voir un chevalier de Malte dans ce bonhomme, dont la virilité est complaisam- ment attestée, mais c'est peut-être lui faire beaucoup d'honneur que de l'anoblir. Nous pouvons avoir affaire à un simple archer de Picrochole, d'Anarche ou de Gargantua, prenant ses aises levant l'en- nemi.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 110.jpg
JULES II
  • №: 110

Une forme ventrue et peu distincte, vêtue d'un énorme sac, s'avaoce à grands pas. Elle est chaussée de mules; un chapeau à vastes bords est posé sur elle comme un éteignûir. Pas de tête, pas de bras; deux pieds s'aperçoivent à peine, et pourtant on pressent sout ces voiles une forme humaine re- muaiite et faarcfîe. Sm le sac,' à la hauteur de la pc^rine, est attachée une décoration que nous Wfons dqà rencontrée, — un coquillage traversé étvLTiQ aiguittâtte. Au chapeau pend le cordon épis- «Kipal. formwl^ k saint triangle: Une scie, que rien M parait dirigm',. fend le chapeau du personnage; tt sféchafi^ ibrouinerture des flammes et un nuage dTabeilks. Du lûîlieu du sac part un grand ressort circulaire qvi commande à plusieurs soufflets réunis.

On peut reconnaître, dans cette étrange figure, le

pape Jules II, avec ses violences, sa tête volcanisée,

' ses idées bourdonnantes et tumultueuses, — et les

inclinations guerrières qui le poussaient à attiser les

discordes et à bouleverser la paix du monde.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 111.jpg
LA CAILLE COIFFÉE
  • №: 111

Nous ne comprenons pas que les commentateurs voient dans cette figure un oiseau gourmandeur, chevalier de Malte , prototype du petit maître. Il n'y a rien de masculin dan^ ce personnage, dont les formes ont des courbes absolument féminines. Ses jambes élégantes et ses petits pieds sont chaus- sés de' bottines fourrées; ses cuisses rondes grossis- sent rapidement pour s'épanouir en éminences très- prononcées. Elles sont renfermées dans un haut de chausses lacé par devant et qui s'arrête au derrière. Le torse paraît nu. La dame est coiffée d'un vaste capuchon en forme d'éteignoîr qui la couvre jusqu'à la taille, et qui se prolonge postérieurement en forme de manteau. Par des ouvertures pratiquées dans le capuchon on aperçoit un œil rond et un long bec d'oiseau. De toutes petites mains gantées tiennent un balai et un miroir, symboles d'ordre et de co- quetterie.

Cette agréable personne si court vêtue pourrait être une de ces abbegesses, en costume d'amour, qui peuplent l'île sonnante, — la chevesche peut-être, — ou mieux encore une de ces c diverses cailles coi- phées » à qui de joyeux musiciens chantent mignon- nement, en un jardin secret :

Prends que sois manche et tu seras coîngnée.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 112.jpg
LB PYGMÉE, FILS DE PANTAOROEt
  • №: 112

Cet avorton sans bras, cette espèce de mandragore est sans doute un des cinquante-trois miUe fils que Pantagruel engendra dans un moment d'oubli. Son Urge chapeau, relevéd'unornement,porte une plume

magnifique, indice de sa haute naissance. Une oreille immense, au milieu de longs cheveux pendants, ac- compagne sa face «forée. Le buste est très-court et se développe tout entier dans une viriUté splendide. U jambe gauche, chaussée d'une bottine, est ceUe d'un homme; à la cuisse droit» s'attache une maigre patte d'oiseau. Cette créature disgracieuse et incom- plète a sa légende :

« Panurge feit un ped, un sault et un sublet, et cria à haulte voix joyeusement : « Vive tousjours

Pantagruel! . Ce voyant, Pantagruel en voulut aulîant fiure,

mais du ped qu'il feit, la terre trembla neuf Ueues à la ronde, duquel, avec l'aer corrompu, engendra plus de cinquante et trois mUle petits hommes nains et contrefaicts , et d'une vesne qu'il feit en- gendra aultant de petites femmes accropies

, Par Dieu, dist Panurge, vos peds sont-ils tant fructueux? Voilà de belles savates d'hommes et de

beUes vesses de femmes ; U les fiiult marier ensemble;

Us engendreront des mouches bovines. Ce que fat

Pantagruel et les nomma Pygmées.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 113.jpg
PANTAGRUEL
  • №: 113

Ce guerrier redoutable, à figure martiale et fière, n'est autre que Pantagruel, dans une des circons- tances les plus périlleuses de sa vie. Il ne s'agit plus en effet de mettre à sac des hommes de six pieds, mais des géants de taille égale à la sienne. Loup- Garou est un adversaire d'autant plus redoutable qu'il porte la lanqe d*Astolfe qui renverse tout ce qu'elle touche. Aussi Pantagruel prend-il dans cette occasion des mesures singulières. Il ne se contente pas d'adresser à Dieu des prières interminables ; il attache à sa ceinture une barque pleine de sel et prend en main le mât d'un navire en guise de bour- don.

C'est une barque, en effet, au travers de laquelle passe le corps du chevalier .que nous décrivons. On peut se plaindre d'un défaut de proportions entre l'énorme buste de Pantagruel et la partie inférieure de son corps. Elle est ornée d'un attribut viril mo- deste ; l'un des pieds seulement porte un soulier à la poulaine. Une longue épée est attachée à la barque au moyen d'une courroie qui passe assez étrange- ment sur la tête du personnage. Le bourdon qu'il tient de la main gauche a l'aspect d'une crosse d'abbé, très-ornementée; son casque de fer — ou qui semble tel — se plisse tout à coup au sommet de la tête et retombe en mèche comme un bonnet de

coton.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 114.jpg
MAITRB ÉDITUE
  • №: 114

Cett» htncitiË âgure, accueillante et pateline, nous représMte r<ibilgeant maître Editue, portier, con- cierge, iâtrûdùcteur des visiteurs de l'île Sonnante. Vêtu d'tin long manteau qui se rattache à son bon- net et à ses sandales tout d'une pièce, il a l'air d'aVdif Sur son front un bandeau sur lequel sont 4éfitS des sotihaits de bienvenue. Sa figure brune, diseféte et barbue, porte un long voile flottant qui s'attache à son menton; ses mains gantées sortent de larges manches et ont l'air de complimenter les gens*

« C(sstoit, dit Rabelais, un petit bonhomme vieul;c, chattlve, à museau bien enluminé et face bien cramoisie. Il flous feit très-bon accueil par la recommandation de l'ermite. Après avoir très-bien repeu, noUs eiposa les singularités de Tisle. »

Ces singularités, au travers desquelles Editue pro- mène Pantagruel et ses compagnons, sont les oiseaux de l'Ile Sonnante, perchés sur tous les degrés de la hiérarchie catholique, leurs biens et leurs apana- ges, — sans compter les c( clergesses, monagesses, presbtregesses, abbegesses, évesgesses, cardingesses et papegesses » consacrées par le ciel au divertisse- ment de ses élus.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 115.jpg
MANDUCE — LE FRÈRE FREDON
  • №: 115

Une tête énorme, sphérique, plus grosse que le reste du corps, est Fapanage du Dieu de la goinfrerie. Il est couronné de la zone de cheveux que la règle des monastères impose aux bons moines, trait de satire un peu direct. Le sommet du crâne porte une calotte irrégulière^ panachée d*un faisceau de plumes triomphantes. Manduce a le genou en terre et tient des deux mains une lèchefrite qu'il lèche avidement. Un flot de sauce semble s^en échap- per et s^écoule derrière lui. Nous ne cherche- rions pas à cette gravure d'autre explication, si Rabelais avait fait de Manduce un être animé. Mais voici ce qu'il en dit :

a C'estoit une effigie monstrueuse, ridicule, hi- deuse et terrible aux petits enfants, ayant les oeils plus grands que le ventre et la teste plus grosse que le reste du corps... »

{Liy. I Vy chap. lix)

Notre personnage est plus vivant que cela, et nous préférerions y voir, sinon l'excellent frère Jean, au moins quelque moine gourmand de l'abbaye de Sévillé, et peut-être un de ces bons frères fredons qui mangent « au dimanche, boudins, andouilles, saulcissons, fricandeaulx^ hastereaulx,caillettes,etc.»

(LiV. F, chap, xxvii.)

Les Songes drolatiques de Pantagruel 116.jpg
PANUR6E — LE PAPE JULES II
  • №: 116

Le geste principal de cette figure nous oblige à consigner l'avis des commentateurs qui y voient Panurge « faisant quinault T Anglois, qui arguoit par signes, t — Cependant quelques accessoires du des- sin ne s'y accordent pas.

a Doncques Panurge, dit Rabelais, myt les deux maistres doigts à chascun courte de sa bousche, les retirant tant qu'il pouvoyt et monstrant toutes ses dents, en faisant assez laide grimace, t Et plus loin: « Panurge prist ta longue braguette et la secouoyt tant qu'il pouvoyt contre ses cuisses, s

{Liv, //, chap, xix.)

Ce personnage nous parait plus séHçux. C'est la pre- mière fois que nous trouvons un boiiâet à triple étage, surmonté de trois panaches, qui signifie certaine- ment la couronne papale. Noua vôyoSis bourdonner aux environs l'essaim d'abeilles qui â déjà personni- fié les idées remuantes du pape Jules, tl est revêtu du camail épiscopal. La partie inférieure de son corps, qui se rapproche de la tottût du singe, est nue et fait allusion aux appétits charnels du pontife. Sa virilité se manifeste par une sorte de poignard qui rappelle les attributs de la gent canine,' allusion à la grossièreté des goûts de ce pape , . et peut-être à sa cruauté.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 117.jpg
UN GASTROLATRK
  • №: 117

Cet adorateur du ventre répond assez bien à l'idée qu'en donne Rabelais. Revêtu d'une soutane et d'un camail fort simples, il marche pacifiquement, soule- vant sa robe à des hauteurs inusitées par l'immense rotondité de sa bedaine. Elle tombe sur ses genoux, et à la hauteur de ses mollets apparaissent des apa- nages virils magnifiques^ qui témoignent de la bonne entente qui règne entre Cornus et TAmour. La tête du personnage, en forme d'olive, a une étrange appa- rence; on dirait une sorte de bec d'oiseau de proie^ témoignage d'une extrême voracité. Elle est ornée d'un panache court et touffu.

a Les gastrolâtres, dit Rabelais, se tenoient ser- rés par trouppes et par bandes, joyeux, mignards, douillets aulcuns; aultres tristes, graves, sévères, rechignes; tous otieux, rien ne faisants, poinct ne travaillants^ poids et charge inutile de la terre, comme dict Hésiode; craignants (selon qu'on po- voit juger) le ventre oiBFenser et emmaigrir. Au reste

masqués... »

(L/v. /F, chajp. Lvm.)

La paresse que l'auteur reproche au gastrolâtre est indiquée par l'absence des bras.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 118.jpg
JULES II
  • №: 118
  1. Nous reconnaissons le pape Jules II à la coif-

fure que nous lui avons déjà vu porter planche C. Non que les coifiures soient identiques, car le cha* peau rond a pris des allures pointues, mais nous revoyons la tùitùe tcie fendre le sommet du chapeaui d'oti s'échappent encore des flammes et de la fumée. La tête dtt personnage, énorme, monstrueuse, remplit une foftMMie tout entière, forteresse courant sur ' deux rOttii

Les Songes drolatiques de Pantagruel 119.jpg
JULES II
  • №: 119

Sans la crosse épiscopale que ce personnage tient à la main, sans la mule bénite qu'il offre du pied aux baisers des fidèles, nous eussions cherché Fran- çois I*f dans ce profil connu ; mais il Êiut se rendre à la vraisemblance. Nous avons à faire au chef de l'Eglise. Son vaste chapeau a pour cimier un aigle qui tient dans son bec de longues guides, dirigeant sans doute le char de la chrétienté. La main gauche du Pape lève un faisceau d'épis de blé^ sym- bole de Tabondance promise aux gens d'Eglise. Un capuchon festonné, à pointes aiguës, le coiffe et tombe sur ses épaules. Son pourpoint — fantaisie singulière — est fait d'un pot cassé par un taillent habile, ce qui peut être une allusion à l'ivrognerie du héros. Le pied qui ne porte pas de mule est serré par une guêtre boutonnée, et la diversité des chaus- sures s'explique par le double rôle guerrier et reli- gieux de ce pontife bruyant.

Jules a Tair d'être en repos; il se présente à la chrétienté en costume d'apparat, atec ses avantages et ses privilèges. Sa barbe tendue en avant bénit * les peuples sur lesquels ses mains empêchées ne peuvent s'étendre.

Les Songes drolatiques de Pantagruel 120.jpg
L'éOUSB — l'île DBS APEDEFTBS — LA COUR DBS AIDES
  • №: 120

Quoique les commentateurs ne donnent à cette figure que les derniers de ces noms^ il n*y a point incompatibilité dans les trois significations. L'Eglise ne repoussait pas les Apedeftes — ignorants, illettrés, dont elle peuplait les monastères. Une hideuse commère, aux mamelles pendantes, coiffée d'une aigrette et d'une vaste oreille, Itft un pot d'une main et tient une coupe de l'autre. Sur son bras est passée une courroie, une discipline^ ou un cordon monastique. Son corps est fait d'un tonneau sup- porté par deui griffes aiguës ; une queue de serpent s'enroule autour de ion pied. Du tonneau jaillis- sent des jets de liqueurs qui désaltèrent une tête en- froquée et Un petit bonhomme à queue de poisson, coiffé d'une espèce de corbeille.

c Sitôt que la grappe fust là, ils la mirent au pres- soir, et n'y eut grain dbnt pas un tie pressurât de l'huile d'or... Or, nous comptait Gaigne-Beaucoup, ils en ont toujours sur le pressoir. -• Et digne vertus I dist frère Jean, appelez- vous ces gens-là ignorants? Comment diable! Ils tireroient de Thuile d'un mur. — Ainsi font-ils, dist Gaigne-Beaucoup ; car souvent ils mettent au pressoir des chasteaulx, des parcs, des forests, et de tout en tirent l'or pota- ble. — Vous voulez dire portable, dit Epistemon. »

On songe malgré soi au denier de Saint-Pierre.

Источники[править]

См. также[править]

  • Персонажи из Codex Seraphinianus — похожий сборник с сюрреалистическими изображениями воинов с оружием, опубликованный в 1981 г.